mardi 30 novembre 2010
Etre Chrétien, Juif et Arabe : L'Orient Compliqué
Dans l'inconscient médiatique, être à la fois chrétien et Arabe relève de l'impossible.
Il y a parfois des expressions qui font bondir l'auditeur ou le téléspectateur. On a beau être habitué à ces raccourcis, à ces biais idéologiques, c'est toujours la même irritation pour ne pas dire la même colère face à tant de stupidité, d'ignorance ou de mauvaise foi.
Cela a nourri nombre de chroniques à l'image de celle consacrée aux personnalités d'origine maghrébine, que l'on a en France la fâcheuse tendance d'appeler uniquement par leurs prénoms.
Que n'avons-nous pas entendu lors de la visite il y a plusieurs mois du pape Benoît XVI en Jordanie et en Israël.
Première bêtise repérée ici et là, répétées en boucle : « En Orient, les chrétiens n'ont parfois pas d'autre choix que d'émigrer en raison de la pression des Arabes ».
Voilà qui est intéressant. Certes, l'exode des chrétiens d'Orient, notamment à destination des Etats-Unis, est un phénomène réel mais ses raisons sont bien plus diverses qu'on ne le croit. Mais avant de les aborder, attardons-nous un peu sur la phrase citée. Que nous dit-elle ? Que nous révèle-t-elle de l'inconscient de nombre de commentateurs français, peu différents en cela de leurs homologues européens ?
Il y a deux conclusions implicites : Les chrétiens d'Orient seraient différents des Arabes et les Arabes seraient tous des musulmans. Voilà qui démontre l'existence d'une hiérarchie qualitative dans la perception médiatique vis-à-vis du Moyen-Orient. Admettre que les chrétiens de cette région sont avant tout des Arabes,qu'ils parlent arabes, qu'ils prient en arabe, et que, dans leurs églises, quel que soit leur rite, ils prononcent le nom d' « Allah » qui veut dire Dieu, tout cela est mentalement inenvisageable pour toute une kyrielle d'observateurs, de journalistes ou de politologues en tous genres.
Prenons une autre variante, dûment notée noir sur blanc sur carnet, après avoir entendu le correspondant permanent d'une radio publique pourtant habituellement plus rigoureuse mais qui a tout de même eu le mérite de parler des chrétiens de Gaza : « les chrétiens sont coincés entre les Israéliens et les Palestiniens », a dit l'intéressé. Là aussi, les Palestiniens ne seraient donc que musulmans tandis que seraient oubliés les Arabes israéliens dont la majorité est musulmane mais dont certains sont aussi chrétiens. On pourra se défendre en soupirant que tout cela est bien compliqué et que cela explique ce type d'approximation. A voir
Le problème, c'est qu'il y a toujours un inconscient qui s'exprime derrière tout cela. Comment, en effet, dresser un portrait manichéen de la situation au Proche-Orient, si l'on s'amuse à en évoquer toutes les nuances.
Les Arabes, exclus de l'universel.
Nier l'arabité des chrétiens d'Orient, la passer sous silence ou la relativiser par rapport à leur appartenance religieuse, relève néanmoins de la volonté d'exclure les Arabes du champ de l'universel. C'est les cantonner dans le rôle de l'autre, « des méchants ». Pour être honnête, il est vrai que les chrétiens d'Orient doivent faire face à un islamisme parfois agressif, envahissant, qui remet en cause leur pratique religieuse. Mais, dans le même temps, que l'on soit au Liban, en Syrie, en Israël ou même en Irak, les Arabes chrétiens partagent aussi la même situation, notamment économique sans compter la privation de libertés politiques, que leurs frères musulmans et c'est cela aussi qui les pousse à émigrer vers des cieux plus cléments.
Il est évident qu'un chrétien palestinien aura moins de mal à décrocher un visa d'émigration que son voisin musulman. Cela ne veut pas dire pour autant que l'on peut assimiler sa communauté à une poche occidentale emprisonnée dans une sphère musulmane. Les chrétiens d'Orient sont dans leur grande majorité des arabes et cela semble irréel que d'avoir à l'expliquer et à le rappeler. Ils sont Arabes, ils participent à la vie culturelle et politique arabe. Ils ont d'illustres devanciers et expriment pour leur grande majorité les mêmes critiques acerbes pour ne pas dire virulentes à destination d'un Occident qui a parfois tendance à les prendre de haut ou à les traiter en victimes qu'ils ne sont pas. En un mot, les Chrétiens d'Orient ne sont pas des pieds-noirs ou des colons.
Ne pas oublier les juifs Arabes.
Extrait d'un livre que je vous recommande, celui de Marie Seurat née dans une famille d'origine arménienne d'Alep et qui évoque une discussion avec sa fille âgée de dix ans : « 'Et les croisés ? me demande Laetitia. Ils sont venus ici [en Syrie]? - Bien sûr, ils sont venus, hélas ! - Et comment ils étaient ? - En un mot comme en cent, des cannibales !' Surprise par ma violence à l'égard des héros de la chrétienté conquérante, dont on lui a tant parlé à l'école, la petite se tait. Je lui explique que les croisés ont tout ruiné ici [en Orient] en rendant difficile, sinon impossible, notre cohabitation avec les musulmans. Leur épopée vaine a semé la haine ; nous ne sommes pas encore remis de leurs beaux coups d'épée. Et je ne suis pas loin de croire que notre départ de Syrie, le sort fait aux chrétiens sont une lointaine retombée de leur folie ».
On pourrait citer d'autres confusions notamment celle qui consiste à parler de l'Iran comme d'un pays Arabe, surtout lorsqu'il s'agit de le diaboliser. De même, parle-t-on rarement des minorités Arabes dans les pays qui ne le sont pas. Il y a des Arabes de nationalité iranienne tout comme il y a des Arabes de nationalité turque, mais c'est une réalité trop compliquée et elle n'intéresse personne.
Mais il y a mieux, même s'il faut beaucoup de prudence avant d'aborder la question.
Il y a aussi des juifs Arabes. Des hommes et des femmes qui parlaient arabe, qui écrivaient en arabe, dont les rabbins s'exprimaient en arabe, et dont plus personne ne parle aujourd'hui, eux-mêmes se forçant au silence et à un exil intérieur. Ils sont membres de communautés originaires notamment d'Irak, mais aussi d'autres pays du Moyen-Orient ou du Maghreb, que l'on a totalement gommée de l'imaginaire globalisé. Un juif qui parle arabe, qui est empreint d'arabité, cela ne peut être mentionné au JT de vingt heures. Et pourtant, cela a existé.
Et, Dieu, Allah, Gadlu, Iaveh, merci, cela existe encore.
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