dimanche 9 février 2014

Ziad Majed nous livre une analyse historique en profondeur de l'actuel conflit syrien.

Web Counter

Dans son ouvrage, Syrie : La révolution orpheline, 
Ziad Majed revient sur les causes profondes de ce
soulèvement, parlant notamment de cette « recherche
du temps perdu » face à la volonté du pouvoir de 
suspendre le temps présent pour en faire un 
moment d'éternité. Les Libanais ne sont pas prêts 
d'oublier cette affiche géante au barrage syrien de 
Madfoun sur la route Beyrouth-Tripoli représentant 
Hafez el-Assad entouré de ses deux fils, Bassel et Bachar, 
avec la mention : « Avec toi pour l'éternité et après éternité » 
(Ma'ak ila el-abad wa ma baad el-abad).
L'auteur évoque la nostalgie des révolutionnaires pour 
les années 40 et 50 du siècle passé avant que ne s'abatte 
la chape de plomb de la dictature, et leur volonté d'y revenir.
Majed dresse un tableau du régime qui a gouverné la 
Syrie depuis les années 70. Il montre comment le pouvoir, 
issu de régions rurales, a « occupé » les villes, élargi le 
secteur public tout en assurant au secteur privé les profits 
propres à assurer son allégeance, mis la main sur les partis
 politiques et les syndicats tout en assurant la mobilisation 
de la communauté alaouite indispensable à son projet 
hégémonique. Il relève la particularité qui caractérise ce régime 
à savoir sa capacité à lier une personnalisation extrême du 
pouvoir avec une institutionnalisation généralisée des instances 
de répression. Il note que l'arrivée de Bachar el-Assad au 
pouvoir ne va entraîner aucun changement dans la nature 
du pouvoir. Après un éphémère « Printemps de Damas »,
vite réprimé, le régime met fin dans un bain de sang à une 
révolte kurde, organise l'envoi de jihadistes combattre les 
Américains en Irak, et tente de mettre fin aux velléités 
indépendantistes qui commençaient à se manifester au 
Liban en faisant assassiner l'ancien Premier ministre, 
Rafic Hariri.
L'ouvrage retrace avec beaucoup de détails l'évolution du 
soulèvement syrien depuis les premières manifestations de 
mars 2011 en montrant comment la répression de plus en 
plus sanglante menée depuis août 2011 va entraîner dans 
un premier temps la militarisation de la révolution et la 
marginalisation progressive de la contestation civile qui 
avait atteint son apogée avec 939 manifestations pour la 
seule journée du 1er juin 2012, puis, dans un second temps, 
l'émergence d'un radicalisme islamiste et la constitution 
de groupes armés qui vont tenter de supplanter l'Armée syrienne 
libre (ASL).
Ce changement dans la nature du mouvement révolutionnaire 
va avoir pour effet une communautarisation du conflit que le 
régime va mettre à profit, comme l'explique très bien l'auteur, 
pour réaliser deux objectifs : impliquer les partis chiites proches 
de l'Iran dans les batailles en cours et se présenter aux yeux 
de la communauté internationale comme une victime 
du terrorisme islamique. La réaction mitigée aux 
bombardements à l'arme chimique du 21 août 2013 
montre qu'il a en partie atteint son objectif.
Un chapitre particulièrement instructif est celui consacré 
aux acteurs extérieurs, les alliés du régime et les « alliés » 
(les guillemets sont de l'auteur) de la révolution. 
Il comporte notamment une analyse du rôle très actif de l'Iran 
tant au niveau de l'armement, de l'entrainement et du 
financement des forces du régime qu'au niveau de la 
participation aux combats directement et à travers ses 
alliés au Liban et en Irak. Majed cite, dans ce contexte, 
une déclaration particulièrement significative d'un proche 
de Khamenei qui qualifie la Syrie de « 35e province de l'Iran », 
pour souligner le fait que l'avenir du régime iranien est 
désormais lié à celui du régime syrien.
L'appui russe au régime syrien fait également l'objet d'une 
analyse détaillée qui prend en considération non seulement 
les motivations politiques – ce régime est le dernier allié de 
la Russie au Moyen-Orient – mais aussi les motivations 
religieuses liées à la position de l'Église orthodoxe de Russie.
Concernant les alliés de la révolution, il parle de l'appui 
hésitant de la Turquie, de la rivalité entre l'Arabie Saoudite 
et le Qatar, de l'absence de motivation occidentale, 
puis s'emploie à démonter les arguments mis en avant 
pour justifier le fait de ne rien faire pour arrêter le massacre 
en cours.
La lecture du livre de Ziad Majed donne à réfléchir : 
130 000 morts (dont 11 000 enfants), 8 millions de personnes 
déplacées, des villes détruites et une impuissance généralisée 
à mettre un terme à ce crime contre l'humanité, le premier en 
ce début de siècle. Et pour couronner le tout, un débat sordide 
sur le choix à faire entre deux barbaries, la barbarie du régime 
et celle des jihadistes, avec le danger, comme le note 
l'intellectuel syrien, Farouk Mardam Bey, de se retrouver, 
faute d'avoir agi, devant assumer le prix des deux barbaries 
à la fois.
Je pense que la lecture de cet ouvrage 
est indispensable pour qui veut comprendre 
les enjeux véritables de ce conflit qui a d'ores et 
déjà largement débordé les frontières de la Syrie 
et représente un défi de nature existentielle aussi 
bien pour le Liban que pour l'Irak.
Samir Frangié OLJ /9/2/2014
BIBLIOGRAPHIESyrie : La révolution orpheline 
(Souriya : al-thawra al-yatima) de Ziad Majed, 
L'Orient des Livres, 2013, 173pages