mardi 20 novembre 2012

Le Renseignement criminel au profit de l’économie africaine

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Fuite des capitaux, corruption, blanchiment d’argent, manipulation des cours de matières premières, trafics de produits illicites, etc., les crimes économiques se complexifient et s’amplifient en Afrique au rythme de la croissance économique du continent. Pour y faire face, les Etats africains sont contraints de mettre en réseau des unités de Renseignement criminel exclusivement dédiées à la protection de l’économie.

Dans un monde des affaires globalisé, de nouveaux liens se nouent chaque jour entre les mafias et les entreprises, y compris les plus respectables. Et les deals comme celui révélé par la justice italienne en 2004 entre la multinationale Parmalate (35 000 salariés) et la Camorra napolitaine ne sont plus l’apanage de Milan, Moscou, Wall-Street, Tokyo ou Shanghai. 

Pour les principaux acteurs mondiaux du crime organisé - ceux qui ont fait fortune dans l’industrie militaire ou pharmaceutique, ceux qui se sont enrichis grâce au traitement clandestin des déchets toxiques, ceux qui sont politiquement influents dans les pays émergents ou dans le vieilles démocraties - l’Afrique est regardée comme un marché vierge, suffisamment poreux et rentable dans la durée, une proie à saisir dans les meilleurs délais.

Favorisé par la globalisation financière et la pauvreté des nouveaux pays-cibles, le crime organisé a opéré un saut qualitatif ces dernières années, qui a donné naissance à deux figures inquiétantes pour l’économie africaine : l’entrepreneur mafieux et le mafieux entrepreneur. Ces deux figures sont encore plus inquiétantes dans les pays où le modèle mafieux prospère aisément parce que la situation économique ou l’architecture sociale ne permettent plus à la jeunesse d’envisager autre chose que la voie du crime. De loin, ces pays donnent l’impression de laisser un seul choix à leurs populations : devenir criminelles ou sombrer dans la misère.

A qui avons-nous affaire ? 

Seul un diagnostic froid des dangers du monde actuel permet de faire face à ce nouveau défi. De nombreux évènements, au cours des dernières années, ont montré à suffisance que ceux qui étaient en charge de la sécurité nationale pouvaient s’égarer dans les couches superficielles de l’actualité. Si, à titre d’exemple, Bamako et ses alliés étrangers veulent faire croire que « la poussé subite » des islamistes dans le nord Mali était « imprévisible », l’analyse prédictive criminelle ne permet-elle pas d’anticiper les trafics d’armes que pourrait générer une intervention militaire internationale dans cette partie du continent ?

Au milieu des années 2000, Antonio Calderone, un ancien mafioso, fit une remarque absolument remarquable par sa justesse. « Le soldat de la mafia, déclara Calderone, habitué à la compétition et au risque très élevé, est mieux qu’aucun autre préparé à l’économie de marché. » Cette description est observable chez plusieurs criminels actifs dans les pays où la menace n’est pas toujours d’origine extérieure. Les mafiosi nigérians par exemple contrôlent l’essentiel de l’économie souterraine de l’Etat fédéral grâce aux trafics (humains, de drogue, de matières premières, etc…), blanchiment d’argent sale, contrefaçons, enlèvements ciblés et escroqueries sur internet. Ce sont des winners avides, cupides, sans morale ni peur. Après le terrain, c’est à l’écran qu’ils portent la « destruction créatrice » dont parlait Schumpeter.

Nous avons affaire aujourd’hui à une catégorie d’acteurs économiques criminels et résilients qui, dans de nombreux pays, font concurrence aux acteurs légaux, voire à la force publique. Ils mobilisent des flux financiers capables de transformer la nature des marchés en un temps record et profitent de la relative porosité de la plupart des frontières africaines. Corrupteurs des institutions économiques et politiques, leur impact dévastateur et leur mondialisation à toute vitesse obligent à les intégrer au registre sensible de la sécurité du continent.

A quoi ça va servir ?

Devant l’incapacité de la criminologie classique à traiter les phénomènes criminels les plus résilients, le Renseignement criminel apparait comme le nouvel allié indispensable aux décideurs africains. Il sert à produire et à transmettre, de manière sécurisée, des informations de qualité supérieure, voire hors norme, aux décideurs en charge de la sécurité économique.

Le péril que représente le crime organisé et transnational en Afrique a montré ses preuves, et ses victimes officielles se comptent par milliers. Le scandale du Probo Koala, sa vingtaine de morts directs et les 17 000 consultations hospitalières occasionnées en Côte d’ivoire durant l’été 2006, reste l’une des tragédies les plus emblématiques de la décennie écoulée. Entre temps, l’Afrique est devenue une vraie plaque tournante pour le trafic international de drogues dures telles que la cocaïne et l’héroïne en provenance d’Afghanistan et d’Amérique latine.

Les destructions de stocks de médicaments ou l’interception de menues cargaisons de stupéfiants dont se vantent quelquefois les autorités au journal télévisé de 20h sont utiles aux yeux de l’opinion mais insuffisantes pour protéger l’économie locale. Il est indispensable de s’engager dans une démarche analytique et opérationnelle innovante et proactive pour anticiper et non plus subir les dangers que font peser ces criminels sur l’économie africaine. Il s’agira, en Afrique, d’une véritable révolution dans le traitement des crimes économiques.

A quels moyens recourir ?

Pour sa composition, le réseau d’unités de Renseignement criminel que proposent les conseils en intelligence économique de Knowdys pourrait recourir, au niveau national, au personnel de la police et de l’administration civile. La mise en commun du renseignement criminel par l’ensemble des unités se ferait par le biais d’une base de données automatisée regroupant les productions des différentes unités.  

Le réseau aurait à sa tête un comité de gouvernance panafricain, garant du bon fonctionnement du réseau et de la distribution adéquate du renseignement criminel dans chaque pays membre. Il aurait notamment pour mandat d’assurer la collecte de l’information et la transmission des analyses stratégiques provenant de chaque unité en vue d’aider les autorités nationales dans la prise de décision. 

Le Renseignement criminel que nous appelons de nos vœux est au départ une volonté politique, un état d’esprit et un ensemble de méthodes et d’outils dont le but est de déceler précocement et de neutraliser le crime avant qu’il ne soit commis. Reste bien entendu à poser les bases théoriques et pratiques du Renseignement criminel et à intégrer ce concept encore balbutiant dans la culture des décideurs politiques.

Comme on peut le constater, la dureté de la compétition économique mondiale ne connait pas le fair-play. Et ses arbitres sont toujours juges et partis. Face à cette autre guerre dont le droit international n’a pas encore pris toute la mesure, seul un Renseignement criminel en réseau permettra de dévoiler l’invisible, d’entendre l’indicible et d’identifier l’inavouable de manière à désamorcer les périls avant qu’ils n’affectent une économie africaine en pleine croissance. 

*Guy Gweth
Ancien du CEDS
Consultant en intelligence économique chez knowdys
pour Diplogéostratégies

lundi 5 novembre 2012

Débat autour de la biographie de Grégoire Haddad : être militant face aux réalités

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Les intervenants (de gauche à droite) : Michel Hajji Georgiou, Samir Frangié, Saoud el-Mawla et Michel Touma.
Les intervenants (de gauche à droite) : Michel Hajji Georgiou, Samir Frangié, Saoud el-Mawla et Michel Touma.
La lutte de l’évêque grec-catholique au nom de l’homme comme finalité absolue, telle que décrite par Michel Touma dans sa biographie de Grégoire Haddad, s’aligne sur la mouvance du printemps arabe... et redonne goût au militantisme en vue du changement.

« Être militant face aux réalités. » Ce thème a fondé le débat au Salon du livre, samedi soir, autour de l’ouvrage biographique écrit par notre collègue Michel Touma sur « Grégoire Haddad, évêque laïc, évêque rebelle ». Déjà, l’ouvrage en soi apporte des réponses concrètes sur le mode d’action et de pensée du militant, à travers l’exemple du père Grégoire et de son action au nom de « l’amour du prochain ». Parmi ces réponses, puisées dans le portrait du prélat : la sérénité dans la foi, complémentaire de la volonté même de « briser les tabous »; la mise sur pied d’un mouvement social fondé sur la participation des laïcs et des religieux au service de l’autre; la perception de l’homme comme seule valeur où s’exalte le divin.

Après un mot de bienvenue de Nayla de Freige, administrateur délégué de L'Orient-Le Jour, le sociologue Saoud el-Mawla commente l’article « Libérer le Christ », que le père Grégoire publiait dans la revue Afaq le 15 mars 1974, afin d’établir le parallèle entre l’approche de ce dernier et « la pensée théologique de libération ». D’abord, « l’emploi du terme libération, comme mot-clé, indique le processus libératoire en Jésus-Christ, dans l’histoire ». Un autre élément, inhérent à l’action du père Grégoire : « L’entrée du pauvre dans le champ de la théologie, qui ne se confond plus avec les vérités de la foi, mais tend vers la libération du pauvre et de l’opprimé. » Dans ce sens, « la notion de l’autre n’est pas celle de l’autre non chrétien, mais de l’autre non humain, car il est marginalisé ». Le dialogue islamo-chrétien n’est qu’un élément du dialogue profondément humain prôné par l’évêque. C’est à travers cela, enfin, que « la libération chrétienne devient un dépassement des injustices socio-économiques, toujours par le biais du salut par le Christ », conclut le sociologue chiite.


Les esprits sont-ils prêts pour un « autre » Liban ?
Cette approche rejoint le « vivre-ensemble » et « la culture du lien » décrits par Samir Frangié dans son essai Voyage au bout de la violence, présent en force l’année dernière au Salon du livre. Cette année, le débat autour de la biographie de Grégoire Haddad a réuni près de 300 personnes, venues écouter les intervenants, parmi lesquels l’ancien député. Comme si cette idée « d’homme-dieu » (à reprendre l’expression de Luc Ferry) intégrait petit à petit la réflexion portée sur la paix civile au Liban. « L’idée qui habitait cet évêque rebelle et sous-tendait son action était qu’un “autre” Liban était possible », affirme Samir Frangié. Et « pour que cet autre Liban devienne une réalité », il fallait d’abord « substituer aux solidarités claniques et communautaires de nouvelles solidarités basées sur l’échange et le don », tout en redéfinissant la portée même de la religion, à laquelle « il fallait ôter sa dimension identitaire, porteuse de toutes les violences ».
L’enjeu est de « revenir à l’essence du message évangélique : apprendre aux hommes à vivre en paix et permettre l’émergence d’une citoyenneté fondée sur l’individu ». Seule l’assimilation et la pratique de ce message est apte à neutraliser « la dérive tribale qui a fait de l’État un champ ouvert aux luttes communautaires », surtout après les événements de 1958. Or, si dans la pratique Mgr Haddad « tente de freiner cette “descente aux enfers” en prônant une “laïcité globale” », son discours est mal perçu, voire répudié par les institutions et leur base populaire tant il remet en question la fusion de l’individu avec la communauté à laquelle son identité est réduite. « Les esprits ne sont (alors) pas prêts à un tel changement », constate Samir Frangié.
Revenant sur la décision du synode melkite, en août 1975, de démettre l’évêque de ses fonctions, « une décision qui a été un choc pour toute une génération qui avait cru au changement », il en conclut que « les autorités religieuses, pas plus que les autorités politiques, n’étaient prêtes à agir pour tenter de désamorcer les tensions qui s’accumulaient, annonçant la guerre ».

Michel Hajji Georgiou : du « néant intellectuel »
Si aujourd’hui le combat de Grégoire Haddad épouse la mouvance du printemps arabe, où l’individu « commence à retrouver son autonomie », comme le décrit Samir Frangié, peu de choses présagent d’une maturation au Liban, de 1975 à aujourd’hui. Modérant le débat, notre collègue Michel Hajji Georgiou revient en effet sur l’agression contre Mgr Haddad en 2002 par trois jeunes devant les locaux de Télé-Lumière à Jounieh. De cet incident, M. Hajji Georgiou retient deux éléments. D’abord, « la position adoptée quelques jours plus tard par les autorités spirituelles locales de la communauté concernée : Mgr Haddad devait cesser d’exposer ses “vues théologiques car elles ont besoin de maturation et de connaissances approfondies” pour être assimilées ». Autrement dit, « Grégoire Haddad devait se taire, et avec lui, ses idées transgressant les tabous du conformisme social et communautaire, donc politique, donc capables de dévoyer les fidèles ».

Michel Hajji Georgiou s’attarde sur l’agression en soi, symptomatique du monolithisme durement ancré dans les esprits. « Ces trois hommes qui ont agressé Mgr Haddad, pour des propos qui les ont probablement traumatisés, assument une fonction symbolique, souligne-t-il. Car derrière le dogmatisme amoureux de sa propre vérité, il y a le néant intellectuel et culturel. » Le lynchage devient « confrontation symbolique (...) entre l’identitarisme holiste malade de l’autre et de lui-même, sous l’une de ses incarnations les plus brutes et les plus élémentaires, et une culture humaniste fondée sur la finalité de la personne humaine, la valeur individuelle et la dignité humaine, celle-là même défendue aujourd’hui par le pape Benoît XVI », ajoute Michel Hajji Georgiou.

Que cette approche soit préconisée aujourd’hui par le Vatican n’ébranle pas outre-mesure l’establishment religieux chrétien avec lequel « discuter de Grégoire Haddad, c’était comme discuter de Raymond Eddé, Maurice Gemayel ou Hamid Frangié avec l’establishment politique chrétien actuel, ou de Mohammad Mehdi Chamseddine avec l’establishment politico-religieux chiite », relève M. Hajji Georgiou. Mais « la gêne et les contorsions de circonstances, immanquablement au rendez-vous » lorsque ces noms sont mentionnés, trahissent en elles-mêmes le mensonge qui phagocyte la pensée libre du citoyen, ajoute-t-il.

 « En définitive, à quoi cela a-t-il servi ? »
Cette réalité sous-tend la question que Michel Touma a plus d’une fois entendue de la part du père Grégoire lors de leurs entretiens successifs, pendant un an, pour la préparation du livre. « Qu’est-ce qui reste, en définitive, aujourd’hui de ce que j’ai fait ? » Cette question, rapportée par Michel Touma au début de son allocution, personnifie l’humilité du père Grégoire, dont Samir Frangié relève d’ailleurs « la modestie et la bonté, deux valeurs qui n’ont malheureusement plus cours dans les temps actuels, mais qui sont au fondement des temps à venir ». Mais cette question incarne surtout l’ardeur de la lutte. « Face aux réalités cruelles et violentes qui emportent tout sur leur passage, la question qu’il s’est posée est en définitive, à quoi cela a-t-il servi ? »

À cela, une réponse positive a rejailli spontanément de l’audience, lorsque plusieurs personnes présentes ont pris successivement la parole pour évoquer les associations qu’ils représentent : ECDAR, formée par des vétérans du Mouvement social, ce dernier n’ayant par ailleurs jamais cessé d’être actif ; l’AFEL, l’AEP et l’IRAP dont le père Grégoire a été le parrain.

En outre, Michel Touma insiste sur l’imminence de renouveler « la démarche intellectuelle et les réalisations du père Grégoire ». Non seulement parce que « le printemps arabe constitue un point crucial où des choix de société doivent être faits », mais parce qu’il s’allie parfaitement à « l’action sociale initiée par le père Grégoire et qui était perçue sous l’angle non pas caritatif, mais du développement socio-économique global qui plaçait l’homme, dans toute sa dimension, au centre de toute action ». Si l’action sociale avait, dans les années 60, « initié des centaines de jeunes volontaires à la culture citoyenne », la jeunesse se trouve devant des bouleversements régionaux qui devraient incarner ses aspirations au changement, souligne Michel Touma. À l’heure où les peuples arabes « sortent de leur hibernation », ajoute-t-il, la pensée et l’action des jeunes devraient se déployer, sans toutefois se dissocier « de l’autocritique, la critique radicale et constructive, contre tout ce qui risque d’entraver l’épanouissement de l’homme ».

ref: OLJ du 5/11/2012

lundi 8 octobre 2012

Economie de guerre et guerre économique au Mali

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Jadis, certains investisseurs internationaux prenaient la carte de l’Afrique et cochaient en rouge les zones sensibles. A éviter. Aujourd’hui, face à la concurrence, la plupart ont appris à faire des affaires dans les régions à risque. Économie de guerre et guerre économique au Mali : synthèse.

La plupart des spécialistes du Mali sont unanimes sur un point : avant le coup d’Etat du 21 mars qui a conduit à la chute d’Amadou Toumani Touré, l’économie nationale - minée par la corruption de l’élite politique et l’expansion de l’économie informelle - était plongée dans une crise profonde. En 2011, la croissance réelle s’est repliée à 1.1 %. En cause, la chute de la production agricole, l’envolée des cours des produits alimentaires et des hydrocarbures, auxquelles se sont ajoutées la guerre en Libye et la crise post-électorale en Côte d’Ivoire. En accélérant l’effondrement de l’institution étatique, les islamistes ont contribué à redessiner le marché malien et même sous régional en favorisant le business de la guerre.

Sur le plan humanitaire, les associations et ONG internationales guettent le moindre départ de pandémie, de pénurie d’eau potable ou de famine pour lancer les collectes de fonds. Les chasseurs d’images traquent déjà les photos de femmes et d’enfants mal nourris ou sans abris qui illustreront les affiches des prochaines campagnes de fundraising. Dans la crise humanitaire qui ne manquera pas de survenir en cas d’intervention militaire étrangère, les fabricants de médicaments et de matériels de premiers secours ainsi que les industriels de l’eau tels que Severn Trent, pour ne citer qu’un seul, anticipent de bonnes affaires grâce aux commandes des ONG, des grands pays donateurs et des agences spécialisées de l’ONU.

Le business des mines a flambé en même temps que le commerce illicite

Dans la partie sud du pays, les hôtels, restaurants et centres de loisirs - pour ceux qui ouvrent encore - fonctionnent en moyenne à moins de 30% de leurs capacités. Face à la déliquescence du tertiaire, le business repose essentiellement sur ses deux autres piliers que sont l’or et le coton qui génèrent à eux seuls 30% du PIB malien. Pour ce qui est de l’or, les analystes attendent une production de 12 tonnes, en 2012, des 8 mines en exploitation à Sikasso (Kalana, Kodiéran, Morila, Syama) et à  Kayes (Kadiolo, Loulo et Tabacoto, Yatela), ce qui fait du Mali le troisième producteur africain d’or. Bien que l’Etat malien ne bénéficie que de 20% des revenus de ces mines, les autorités n’ont eu de cesse de céder de nouveaux gisements aux entrepreneurs privés. Quant au coton, la campagne agricole 2012-2013, devrait battre un record avec 600 000 tonnes de coton graine et 2,5 millions de tonnes de céréales, d’après les chiffres de la Compagnie Malienne du Développement des Textiles.

Dans la partie nord, avec l’interdiction instaurée par les islamistes de commercialiser du tabac et de l’alcool, la contrebande a pris une ampleur phénoménale. Dans un contexte où les couples illégitimes, les buveurs d’alcool ou les fumeurs pris en flagrant délit sont fouettés sur la place publique, il faut discrètement demander du « paracétamol » au marché noir pour obtenir une cigarette. Le marché central de Gao, quant à lui, grouille de monde tous les jours. Mais curieusement, malgré la hausse des prix, les produits de base restent disponibles.

Aucun grand média ne relève les efforts du lobby militaro-industriel

Les grands médias veulent faire croire à l’opinion publique internationale que Bamako et ses alliés étrangers ont subitement découvert le danger islamiste dans une zone sahélienne sous haute surveillance électronique de l’aviation étasunienne. Sous couvert de la lutte contre le terrorisme islamiste, on fait témoigner les populations déplacées - parmi les 200 000 qui ont fui les combats dans le septentrion malien - en faveur d’une intervention militaire étrangère sans en livrer les vrais mobiles économiques et géostratégiques sous-jacents. Comme dans une espèce d’entente secrète, aucun grand média ne relève les efforts du lobby militaro-industriel, à New-York notamment, pour encourager certains membres du Conseil de sécurité des Nations unies à participer à une intervention armée dans le nord Mali. 

Etalée sur 4 millions de km², la zone sahélienne est devenue le principal point d’attraction des islamistes radicaux du sud du Niger, du Tchad et du nord du Nigeria. Pour certains analystes militaires, un « petit point lumineux » intéresse les Occidentaux dans cette région : Tessalit, dans la région de Kidal, une base ultra stratégique aux plans économique et militaire. Le contrôle des accès aux matières premières minières dont le gaz et le pétrole, l’or et l’uranium que possèdent les sous-sols algérien, libyen, nigérien et malien, ainsi que la stratégie atlantiste de blocage de la montée en puissance chinoise dans cette partie du monde constituent les enjeux majeurs de ce qui se trame dans le nord Mali.

L’aide logistique profite aux capitales voisines du Mali, sauf à Alger

Dans son édition du 6 avril 2012, le journal malien «L’Indépendant» annonçait une livraison de matériel militaire du Qatar par avion-cargo à l’aéroport de Gao, à destination des rebelles. Un précédent ravitaillement était intervenu le 10 mars 2012, déchargeant plusieurs véhicules 4X4 et d’importantes quantités d’armes sophistiquées et de munitions. Le 6 juin 2012, le journal satirique, Le Canard enchainé, s’appuyant sur des informations de la Direction du Renseignement militaire français, annonçait que «les insurgés du MNLA (indépendantistes et laïcs), les mouvements Ansar Dine, Aqmi (Al Qaïda au Maghreb islamique) et MUJAO (Djihad en Afrique de l’Ouest) ont reçu une aide en dollars du Qatar».

D’après nos informations, le Département de la Défense américain a alloué des camions, des uniformes et du matériel de communication à la Mauritanie pour un montant de 6,9 millions USD en juillet 2012. Dans le même élan, Washington a décidé l’octroi de 11,6 millions de dollars au Niger sous forme de matériels d’équipement, de surveillance et de transport des troupes. Ouagadougou a également bénéficié des faveurs américaines pour permettre aux forces spéciales US de se déployer dans le cadre du programme de surveillance « Sand Creek » à partir d’une base située au Burkina Faso. Opposée à une intervention militaire occidentale, l’Algérie qui partage plus de 1 300 km de frontières avec le Mali, serait prête à revoir sa position si les Etats-Unis acceptaient de lui fournir des drones de surveillance. Ce à quoi Washington répond par la négative. En somme l’aide logistique bénéficie aux capitales voisines du Mali ; sauf à Alger, idéologiquement trop proche de Moscou et de Damas. 

Les ingrédients pour passer de l’économie de guerre à la guerre économique

Dans le cadre de son économie de guerre, Bamako a instauré un train de mesures exceptionnelles, depuis quelques mois, dans le but de maintenir les activités économiques indispensables au pays. L’importation de produits agricoles à forte teneur de glucide, des commandes de matériel militaire, des cessions de gisements de matières premières à des entrepreneurs privés sont autant de business accélérés par l’Etat depuis le putsch du 21 mars. Malgré ces efforts, les conditions de vie des Maliens se sont considérablement détériorées. Le chômage et la précarité consécutifs au ralentissement des activités et aux fermetures d’entreprises, la réduction de la production agricole, le renchérissement des prix des denrées de base et la détérioration des échanges avec les pays voisins ont créé les conditions propices à l’expansion d’une économie parallèle et au trafic de produits illicites.

D’un autre côté, l’économie de guerre est toujours une occasion de croissance et de développement pour les pays non belligérants géographiquement et/ou économiquement proches de la zone de conflit du fait qu’ils peuvent augmenter leurs exportations aux belligérants.  La crise malienne n’y échappe pas, les politiques ayant réuni tous les ingrédients nécessaires pour passer de l’économie de guerre à la guerre économique. Depuis le coup de force militaire du 21 mars, certains opérateurs algériens, sénégalais, nigériens et mauritaniens notamment ont littéralement transformé leurs frontières avec le Mali en comptoirs de trafic, avec la complicité de douaniers véreux. Devant la baisse drastique des exportations vers la sous-région - le Mali est une zone de transit importante au sein de l’UEMOA – des vendeurs de produits pétroliers et des matériels de construction, pour ne citer qu’eux, réalisent des montages ultra sophistiqués et hautement risqués pour leur sécurité, qui s’avèrent de loin plus rentables et plus concurrentiels qu’en période de paix. 

Jadis, certains investisseurs internationaux prenaient la carte de l’Afrique et cochaient en rouge les zones sensibles. A éviter. Depuis, nombreux ont appris à investir dans des zones à risque. Pour ceux qui font du business avec la crise malienne, la liquéfaction de l’institution étatique, la corruption de la classe dirigeante et la lutte contre le terrorisme offrent trois fenêtres de tir exceptionnelles pour transformer ce pays en un vaste marché noir.

Guy Gweth pour Diplogéostratégies
Expert-consultant en intelligence économique chez Knowdys

vendredi 14 septembre 2012

LIBAN: Il y a trente ans: Bachir GEMAYEL ,Un Autre LIBAN

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L’élection de Bachir Gémayel à la présidence de la République 
le 23 août 1982 
a été perçue comme un évènement déterminant pour l’avenir du Liban. 
Tout le monde s’accordait à le penser, dont le président Élias Sarkis 
qui l’avait fortement soutenu. Il apparaissait le seul à même de 
pouvoir libérer le pays des forces étrangères qui continuaient à occuper 
de larges portions du territoire : les Palestiniens partis, 
il restait l’armée syrienne, toujours décidée à soumettre 
le pays au régime de Damas, et l’armée israélienne, 
qui liait son retrait à la conclusion d’un traité de paix avec le Liban.
Mais lui président, on s’attendait à plus que cela ; 
on sentait venir
comme une révolution qui allait modifier 
de manière radicale 
le cours de la vie publique dans le pays. 
Il appartenait à cette race d’hommes d’État – 
l’histoire en retient un certain nombre –
 qui transcendent constamment le quotidien 
politique en valeurs universelles.

Oui, il voulait réformer en profondeur tout 
le système libanais ; 
l’idée majeure était d’ériger le Liban, comme il disait, 
en État-nation. 
C’est ce qu’il allait proclamer haut et fort dans 
le discours d’investiture 
qu’il devait prononcer devant le Parlement le 
23 septembre 1982 : 
« L’État-nation répond à des aspirations et à 
des rêves historiques »    
 (L’Orient-le Jour du 14 septembre 1992).
 C’est à peu près la même 
définition qu’en donne Ernest Renan :
 « Ce qui constitue une nation (...),
 c’est d’avoir fait ensemble de grandes choses
 dans le passé et de
 vouloir en faire encore dans l’avenir. »
On s’attache à une nation en s’intégrant
 à son histoire, même si elle
 est parfois, comme écrit un auteur, 
« entièrement ou
 partiellement inventée »
 (Schnapper cité par Yves Lequette,
 Les Cahiers du Conseil constitutionnel n° 23, 2007, p. 79),
 et en acceptant de l’assumer,
 même si elle n’est pas toujours glorieuse.
 Les Français ne manquent pas de mentionner
 leurs guerres de religion,
 la terreur, la traque des juifs, les guerres coloniales. 
C’est essentiellement avec leur histoire millénaire 
qu’ils ont bâti un 
État-nation qui paraît à bien des peuples exemplaire.
Mais le courant mondialiste qu’on voyait déjà 
arriver va-t-il encore 
laisser place à l’État-nation ? 
J’ai posé la question à Bachir : 
« Je crains que l’ère de l’État-nation ne soit révolue,
 nous arrivons peut-être trop tard. »
Alors, pastichant La Bruyère,
 il m’a répondu avec l’assurance 
d’une foi sans faille :
 « Rien n’est dit et l’on n’arrive jamais trop tard.
 L’histoire ouvre toujours ses portes à ceux qui
 savent y frapper fort. 
Notre peuple a suffisamment lutté et souffert
 pour mériter d’y entrer. »
Il restait à surmonter les difficultés tenant à la
 structure pluraliste du pays : resserrer les liens
 entre les différentes composantes de la population : 
attacher tous les Libanais, à quelque communauté 
qu’ils appartiennent, à des valeurs et à un projet 
politique accepté par tous et leur permettre ainsi de
 transcender les appartenances particulières,
 qu’elles soient religieuses ou claniques.
Pour Bachir, tout cela ne posait pas problème ;
 il avait une conviction inébranlable que ce qu’il décidait 
de faire se réaliserait ; de là, il tirait sa force et
 toute sa détermination à agir. La guerre et 
toutes les souffrances qu’elle a engendrées 
devraient porter la population – pensait-il –
 à se resserrer autour de l’État, seul à même de
 lui assurer la sécurité recherchée sur tout le territoire
 de la République. « Notre peuple, disait-il,
 sera soudé par la vision qu’il a d’un avenir prestigieux 
que nous nous chargeons de lui assurer. »
On s’est souvent demandé s’il ne fallait pas, pour 
répondre au caractère pluraliste du pays, adopter
 pour le Liban, à l’instar de la Suisse, un système
 fédéral ou confédéral assorti d’un exécutif collégial, 
comme c’est pratiquement le cas aujourd’hui.
 Bachir n’y était guère favorable : 
« État fédéral, État unitaire, les juristes, disait-il,
 finiront bien par trouver les mécanismes satisfaisants (...)
 Notre action de résistance et de libération se situe à 
un autre niveau, celui de la nation (...) à ce niveau-là, 
nous n’acceptons que l’unité, nous parions sur l’unité 
et nos paris sont toujours gagnants. »
 (Discours de Beit-Méry du 2 avril 1982).
Il était cependant nécessaire que le Liban adopte
 un statut de neutralité internationalement garanti. 
Cela permet de mieux assurer la cohésion nationale, 
d’éviter que l’une des communautés ne s’implique 
ou ne prenne parti dans des conflits internationaux
 ou régionaux en faveur de l’un ou 
de l’autre des protagonistes,
 et que cela puisse être mal apprécié ou mal ressenti
 par d’autres.
 « Deux négations ne font pas une nation »,
 écrivait jadis Georges Naccache. Cela est peut-être vrai. 
Mais des ni-ni ces derniers temps aux deux parties 
qui se battent en Syrie ou à des courants arabes
 ou moyen-orientaux opposés allégeraient bien
 les tensions qu’on perçoit en ce moment à l’intérieur du pays.
La neutralité n’empêche pas le Liban de demeurer 
dans le giron arabe. Pour Bachir, 
cela ne devait faire aucun doute ; l’arabité lui apparaissait
 comme un élément identitaire ô combien catalyseur
 de l’unité nationale. Il ne cessait de souligner qu’il était
 indispensable de maintenir avec le monde arabe « des 
rapports de développement et de progrès ». 
Il ne désespérait pas de voir arriver 
dans les pays arabes des dirigeants suffisamment
 réalistes pour renoncer de jouer à la guerre,
 pour s’ouvrir à la liberté et à la démocratie,
 et donner ainsi un autre visage au monde moyen-oriental. 
En attendant, le Liban devra rester pour les Arabes
 ce que la Suisse est pour les Européens, une terre d’accueil,
 un centre d’affaires et de loisirs.
L’unité de la nation se joue encore d’avantage au plan interne
 par une action de terrain. Il importe, à cet effet,
 de sortir « l’Homo libanus », comme il disait, de son statut
 de sujet et d’homme lige pour en faire un véritable citoyen 
en rapport direct avec l’État, un État qui gère les intérêts 
de la nation de manière exemplaire, sans complaisance
 ni favoritisme, et avec une intégrité totale 
de ses agents et de ses représentants.
Mais il lui fallait encore plus. « J’aurais peut-être besoin 
de confier des responsabilités nationales à l’un ou à l’autre
 d’entre vous, dit-il un jour à ses collaborateurs réunis 
autour de lui après son élection. Ce n’est pas pour en faire
 des politiciens qui n’ont de souci que 
pour leurs intérêts et leur carrière. 
Non, ce que j’attends de vous, c’est d’être de vrais serviteurs 
du peuple et de l’État, agissant avec beaucoup de zèle,
 le front bas et sans le moindre fla fla ni titre ridicule,
 comme ceux dont on pare nos dirigeants :
 les fakhamat, les ma’ali, les sa’adate et autres, 
héritage de l’Empire ottoman, tout cela est à jeter aux orties. »
Il était très peu amène avec la classe politique, 
décidé à requérir les voix des députés pour se faire élire : 
« J’aurais besoin, nous dit-il, d’un animal politique
 près de moi pour m’aider à traverser cette jungle. »
 Il n’était pas difficile d’en trouver, mais lui était bien 
résolu à ne pas s’y embourber :
 « Je ne crains pas de dévier de la ligne que nous
 nous sommes tracée, entouré des redoutables 
cerbères que vous êtes. » Les cerbères en question
 sont devenus gardiens de temple, un temple dédié
 à cet autre Liban dont rêvait Bachir Gemayel.

Sélim JAHEL
Professeur émérite à l’Université PARIS II
 
Bibliographie:
  • Les Secrets De La Guerre En Liban - Alain Menargues
  • President Bachir Gemayel Community Site
  • Jean-Marc Aractingi, La Politique à mes trousses 
  • (Politics at my heels), Editions l'Harmattan, Paris, 2006,
  •  Lebanon Chapter (ISBN 978-2-296-00469-6).
  • The War Of Lebanon (Documentary Series By Al Jazeera)

samedi 8 septembre 2012

LIBAN: Réflexions sur le rôle du Liban et des Chrétiens dans le monde arabe nouveau

Les Forces libanaises ont organisé la première conférence d’une série de cercles visant à abattre les entraves, d’abord intellectuelles, à une implication entière des chrétiens dans la région en mutation.La Vierge à Harissa, au nord de Beyrouth. Photo Emile Eid.

La Vierge à Harissa, au nord de Beyrouth. Photo Emile Eid.

Réfléchir au « rôle du Liban dans la renaissance du monde arabe nouveau », c’est analyser, sous l’angle du dialogue interreligieux, la transition vers la démocratie dans toutes ses nuances, le rôle des minorités, indissociable de cette dynamique, et la contribution de tous les acteurs à une redéfinition des bases du modernisme.

C’est dans cette perspective que les Forces libanaises ont accueilli à Meerab une conférence sur ce rôle libanais, la première d’une série de cercles visant à abattre les entraves, d’abord intellectuelles, à une implication entière des chrétiens contre la survie des régimes autocratiques. C’est sur le « concept de l’État moderne civil » que l’ancien député Farès Souhaid s’est d’abord attardé, un concept « ancré dans le discours du printemps arabe et endossé aussi bien par les islamistes, les libéraux, les nationalistes que les tribus, et même les entités non arabes, telles que les Kurdes, les Berbères, ainsi que – naturellement – les chrétiens arabes qui ont intégré les révolutions en tant qu’individus non de groupes ». Faisant remarquer que ce concept d’État civil « n’est consacré par aucun texte constitutionnel dans le monde », le coordinateur du secrétariat général du 14 Mars en a fourni une définition. « Cette notion est l’expression de deux refus : le refus de l’État policier et celui des régimes absolutistes et totalitaires », a-t-il dit.

Fin du concept de l’islam politique
Il en déduit corollairement « le refus des théocraties, c’est-à-dire des régimes islamistes (...). En effet, le refus des dictatures, fussent-elles dissimulées sous des slogans de laïcité, implique un attachement certain à la diversité, non seulement religieuse et raciale, mais aussi culturelle, sociale, linguistique, politique... ». Une idée qui réapparaît dans l’intervention du sociologue politique Akram Succarié, évoquant « la chute du concept commun en vertu duquel l’islam est religion et État, comme le prouve la reconnaissance par les Frères musulmans eux-mêmes, en Tunisie, en Égypte et en Syrie, de la séparation de la religion et de l’État, en vue de l’édification de l’État civil ». L’État civil a ainsi mis un terme au concept de l’islam politique, et avec lui le concept même des minorités, selon M. Succarié.
Poussant sa réflexion sur une définition de l’État civil, Farès Souhaid a dégagé des deux refus de l’autoritarisme et de la dictature les deux éléments réclamés par le peuple : la liberté et la dignité individuelles (aux antipodes de l’État policier) et la liberté des collectivités (anéanties par les autocraties). « Mais de ces deux refus se dégage également une troisième négation : l’État civil n’est pas la laïcité telle que préconisée par le siècle des Lumières (...) et que résume le concept européen, d’État-nation, avec toute l’hostilité portée à la religion (...). Si l’expérience européenne a accordé sa liberté à l’individu, elle a toutefois marginalisé les appartenances collectives naturelles (...) », a-t-il souligné.

De l’État civil
Ainsi l’essence même de l’État civil adapté au monde arabe se trouverait-elle dans la réponse que pose le philosophe français Alain Touraine : « Comment vivre ensemble, égaux et différents ? » Au cœur de cette question, l’expérience libanaise, au niveau de laquelle Farès Souhaid s’attarde sur l’exemple avant-gardiste des maronites, « qui ont eu l’honneur d’initier l’idée du Grand Liban en tant que patrie de la coexistence islamo-chrétienne depuis 1920 (...). Cette perception d’une indépendance qui ne saurait se faire sans pacte national atteste de ce choix constant et entièrement volontaire de l’Église maronite, s’articulant sur deux rouages : la doctrine de la liberté et celle de la foi chrétienne, dont le testament implique de vivre avec l’autre et non de s’en écarter ». Il en découle deux textes fondamentaux puisés dans le Document de l’Église maronite et la politique : le paragraphe 37 appelant les chrétiens à constamment renouveler la formule de la coexistence et le paragraphe 44 qui définit l’État démocratique moderne comme la base de cette coexistence.

Mais le chercheur orientaliste Andrea Galliotti a poussé plus loin la réflexion sur l’État laïc et critiqué le modèle libanais actuel. Il a estimé que « l’ultime enjeu, non encore atteint, est d’atteindre un État non déterminé par aucune religion ou race, c’est-à-dire le refus de toutes les formes de confessionnalisme politique, qu’il soit explicite, comme au Liban, ou indirect, comme le présentent le discours nationaliste arabe et sa protection des minorités ».

« Est-il possible pour un prêtre de devenir combattant ? »
À côté des nombreux appels aux minorités d’abandonner, non pas leurs craintes légitimes mais leurs peurs démesurées pour leur avenir dans la région, c’est le témoignage ferme et réaliste de chrétiens, depuis le territoire syrien, qui semble le plus prompt à les apaiser. C’est là que s’inscrit le discours du père Paolo dall’Oglio, père jésuite ayant vécu les trente dernières années à 80 kilomètres au nord de Damas, au monastère désormais fameux de Mar Moussa, qu’il a réhabilité en espace de dialogue islamo-chrétien. Expulsé par le régime de Damas en juin, il est rentré au Vatican où il prépare la visite du pape Benoît XVI au Liban, qui promet d’être imprégnée par une nouvelle approche de l’Église catholique par rapport à la crise syrienne. Une approche qui dépasse le simple appel au dialogue et repense en profondeur « l’engagement chrétien social » dans la région. Intervenant via Skype à la conférence de Meerab, le père Paolo, observant un jeûne en guise de préparation spirituelle à la visite du pape au Liban, a estimé que le souverain pontife « sera accueilli par tous les chrétiens et toutes les communautés, au nom de la société que nous voulons défendre et construire (...), c’est-à-dire religieuse dans ses racines et ses principes, laïque dans ses décisions et ses choix ». Évoquant son passage à Achrafieh en 1978, où il avait caressé l’idée de porter les armes, devant les heurts confessionnels dont il avait témoigné, il a déclaré : « Mais est-il possible pour un prêtre de devenir combattant ? Je n’ai trouvé d’autre réponse à cette question que cette voix me répétant : je te veux pour une époque après cette époque, pour une opportunité qui succédera à celle-ci. » Cela a été le début de son ouverture au monde arabe, où il a compris que « le rôle des chrétiens est comme la jointure du genou : il n’y en a qu’une, au milieu de multiples os, mais elle est essentielle, à condition de rester une ».

Une autre approche concrète du rôle du Liban dans la construction de la démocratie régionale a été fournie par Rock Mehanna, doyen de la faculté de gestion de l’université La Sagesse, qui s’est attardé sur « la résistance économique » qu’évoquait Charles Malek au moment où l’État d’Israël venait de voir le jour.
Enfin, le rôle incontournable des médias, leurs armes et leurs défaillances, a été décrit par le rédacteur en chef du journal de la chaîne MTV, Ghayath Yazbeck, qui a estimé que la voie d’adaptation pour un journaliste aux changements actuels est « un soulèvement contre soi d’abord, afin d’acquérir la liberté, le professionnalisme et la culture plus que jamais exigés ».
source: OLJ du 8/09/2012

lundi 6 août 2012

Syrie:Vers une partition du pays avec un Etat Alaouite!

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Objet : - Point de vue sur la situation en Syrie :


 I-        Introduction :
1-        La situation devient de plus en plus tendue pour le gouvernement de Bachar Al-Assad. Ce dernier reste au pouvoir en dépit des manifestations et des combats armés qui font rage entre l’Armée syrienne libre et l’armée  régulière du régime, mais la violence dont Bachar Al-Assad fait usage contre la population ne peut pas continuer. Si Bachar Al-Assad a  gouverné par la peur jusqu’à présent, il est maintenant évident que les Syriens ne sont plus effrayés.
2-        Dans les prisons, les détenus sont  torturés physiquement et psychologiquement. Mais les rebelles syriens continuent à manifester et à mener une lutte armée contre le régime syrien et la contestation devient un état généralisé dans l’ensemble du pays. La peur ne fonctionne donc plus. Ce qui marque un réel changement : il y a encore un an, personne n’aurait imaginé ce changement radical.
3-        Je pense qu’à l’heure actuelle la Syrie est en situation de  guerre civile. La contestation ne se résume plus à des manifestations pacifistes. Pour que le régime mobilise des chars, des bateaux de la Marine et des hélicoptères de l’Armée de l’air, ce n’est pas pour mater les manifestations, mais pour faire face à des groupes armés – que beaucoup de chercheurs pensent islamistes – qui cherchent à attaquer le régime alaouite. Cet aspect confessionnel du conflit en Syrie est à prendre en considération. Désormais, les syriens sont en pleine guerre civile. Ce sont les syriens sunnites qui ont été oubliés et mal traités par le régime tout au long de  40 ans qui subissent actuellement la répression sanglante d’un régime alaouite qui cherche à s’affirmer et à imposer son pouvoir, mais en vain.
4-        Mais jusqu’à quand et jusqu’à quel point ce régime peut –il encore résister face cette révolte et quelles  sont ses marges de manœuvre ?

II-        Le  régime Alaouite de Bachar Al-Assad peut-il résister encore ? 

5-        Il est permis de penser que le régime syrien continue à compter sur deux  supports majeurs. D’abord l’armée. Mais, il n’est plus du tout certain que l’armée soutienne toujours le régime. Le gouvernement, paraît-il, ne fait appel qu’à la quatrième brigade pour contrer les rebelles. Cette brigade, la mieux équipée de l’armée syrienne, est particulièrement entourée et soignée par les autorités. Elle est placée sous les ordres du  frère de Bachar al-Assad, Maher, et est constituée  presque seulement d’alaouites contrairement aux autres brigades de l’armée qui, elles, sont sunnites, comme la majorité des Syriens.
6-        L’autre support du régime de Bachar al-Assad, c’est la Classe moyenne. Elle est touchée de pleine fouée au niveau économique par le mouvement populaire qui ravage la Syrie depuis déjà un an et demi et l’isolement du pays [dans certaines villes, beaucoup de commerces ont fermé faute d’approvisionnement]. Cette classe moyenne a fini par retirer son soutien à Bachar al-Assad. Or, elle constituait un appui indispensable au régime syrien. Sans elle, c’est son socle de la vie économique qui s’effondre.
7-        Certes, militairement, le régime est plus puissant que les rebelles. Et la communauté internationale n’a pas, pour l’instant, l’intention d’intervenir. Le régime syrien engage une course contre la montre et table sur l’épuisement des insurgés. Sa stratégie de départ, qui consiste à faire croire que "sans moi, c’est le chaos", tient malheureusement toujours. Les autorités syriennes énoncent qu’il faut un régime autoritaire et laïc sinon on risque de provoquer des conflits confessionnels. Abstraction faite de l’existence ou non de ce risque et même si les insurgés ont permis à des oppositions d’émerger, il n’y a toujours pas d’alternative crédible et démocratique au régime de Bachar Al-Assad.
8-        Mais  en même temps, je ne crois pas que le régime de Bachar Al-Assad va pouvoir survivre car le point de non-retour a été atteint, d’autant plus que ce régime a lâché sur des questions cruciales : l’état d’urgence [en place depuis plus de 48 ans] a été levé au tout début du conflit. Aussi, en l’absence d’une intervention internationale tendant à mettre fin aux agissements sanglants et aux massacres perpétrés par le régime alaouite et avec le soutien politique et militaire sans faille que la Russie continue à apporter à ce régime, nous allons tout droit vers une guerre civile interconfessionnelle et interminable entre Alaouites et sunnites en Syrie similaire à celle de l’Irak. Celle-ci pourrait aboutir à un changement géopolitique non seulement en Syrie mais aussi au Liban, en Jordanie et dans une partie de la Turquie (au sud de la Turquie).  Mais quand et comment cette situation va-t-elle évoluer ?

III- L’évolution de la situation en Syrie
9-        Comme je l’ai déjà souligné plus haut, la Communauté internationale a, jusqu’à présent, démontré qu’elle ne peut, en réalité,  faire grand-chose et qu’elle est incapable d’agir. Les déclarations du Secrétaire Général de l’ONU et des chefs d’Etats occidentaux, les Résolutions internationales  ne sont que de belles paroles qui ne sont suivies d’aucun effet concret.  Quant aux  pays arabes, ils sont faibles et soumis aux décisions de grandes puissances. Ils se contentent d’apporter certains appuis financiers et militaires (armes) aux insurgés sans pouvoir imposer une solution politique concrète consistant à arrêter le carnage en Syrie.  Cependant, certains pays arabes (dont notamment l’Arabie Saoudite et certains pays du Golfe) n’hésitent pas à faire jouer leurs intérêts géopolitiques, stratégiques et confessionnels à travers le conflit syrien (notamment l’Arabie Saoudite et le Qatar).   L’Iran joue également le même rôle mais en appuyant le régime de Bachar Al-Assad.
10-        Même avant l’éclatement du mouvement populaire, la Syrie n’entretenait que certains liens limités avec les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, et l’Occident en général. Ces pays  ne sont pas du tout séduits par l’idée d’intervenir en Syrie, surtout que l’intervention en Libye a largement dépassé le temps prévu et a contribué à décourager plus d’un membre de l’Otan.
11-        La Turquie, l’Arabie Saoudite et le Qatar sont, en revanche, des pays très importants pour le régime syrien. Et ils ont fini par s’éloigner de Bachar Al-Assad. Le Qatar et l’Arabie Saoudite ont rappelé leurs ambassadeurs, la Turquie a condamné l’usage de la violence contre les manifestants et a menacé d’intervenir en Syrie notamment à la suite du grave incident aérien qui a eu lieu à la frontière avec la Syrie et qui à l’occasion duquel les syriens ont abattu un avion de chasse turque alors que ce dernier ne survolait pas l’espace aérien syrien.
12-        Plus que jamais, Bachar Al-Assad se trouve isolé sur la scène internationale. Pourtant, aucun des pays arabes ou des puissances régionales, pas plus que les puissances mondiales, ne veut prendre le risque d’intervenir directement en Syrie. C’est pourquoi,  le régime de Bachar Al-Assad n'est pas encore sur le point de s'effondrer, mais  celui-ci perd progressivement du terrain comme le témoigne l’insécurité qui se généralise dans les grandes villes ( telles que Damas et Alepp) jusqu’à présent demeurées à l’écart des affrontements majeurs, ou comme en attestent les progrès de l’organisation des rebelles, de mieux en mieux armés.
13-        Il risque donc d’arriver un moment où les autorités syriennes ne contrôleraient  plus rien en dehors des grands axes de communication. Dès lors,  on pourrait s’attendre à une multitude de scénarios catastrophe : une instabilité à la frontière avec Israël, le Liban, la Jordanie et la Turquie ; un flamboiement des régions kurdes aux frontières turque et irakienne,  une implantation des germes d'une situation à l'irakienne, … Ou un Hezbollah qui, abandonné par son autorité de tutelle et est dos au mur, se mettrait à attaquer  dans toutes les directions autour de lui.
14-         Dans ces circonstances, la  communauté internationale n’a aucun intérêt à intervenir en Syrie. D’autant qu’elle ne s’y retrouverait pas en termes de retour sur investissement. Une guerre coûte trop cher et, en Syrie, il n’y a pas beaucoup de gisements pétroliers et de ressources naturelles.  Comment la situation peut-elle alors évoluer ?  L’idée de la famille d’Al-Assad de créer un Etat Alaouite en Syrie pourrait-elle se concrétiser ? Le clan Al-Assad  ferait-il recours au plan B tendant à créer un Etat Alaouite ?

IV-L’idée d’un Etat Alaouite est-elle réelle ?

15-          Je pense que le régime de Bachar Al Assad va tôt ou tard s'effondre. Je ne vois aucun autre sort pour lui. Sa chute peut prendre des mois, peut-être des années. Les combats, les manifestations, les soulèvements et la répression sanglante peuvent encore durer pendant longtemps. Tant que l’armée ne se désolidarisera pas réellement et entièrement  du régime,  les choses ne changeront pas. Mais je pense que nous ne  sommes pas loin de ce point de rupture. La position du régime syrien s’affaiblit de jour en jour. Je crains cependant un déchaînement de violence et un nettoyage confessionnel dans certaines régions syriennes. La violence risque de devenir encore  beaucoup plus sanglante que ce qu’on a pu voir jusqu’à présent.
16-        A mon avis, il existe deux options en Syrie. Soit la communauté internationale décide d’intervenir de manière sérieuse, ce qui me semble peu probable pour les raisons que j’ai citées plus haut, soit la Syrie va se transformer en second Irak et être divisée  en deux Etats distincts, un Etat Alaouite le long de la côte et un Etat sunnite  le long de la région du Nord-Est et du Nord-Sud ( région s’étendant entre Alepp et Damas). Les Druzes ne seraient, peut être, pas  lésés, Israël ayant l’intention de leur faire don de son Golan. Cette dernière hypothèse me semble la plus plausible.
17-        Au moment où la plupart des spécialistes et analystes  du soulèvement syrien prévoient un repli de la famille Al Assad et des Alaouites dans la montagne Alaouite, il ne faut pas oublier que l’État alaouite est une idée qui date de l’époque du Mandat français.
18-        Dans ce contexte,  certains médias de l’opposition syrienne révèle qu’Ayman Abdel Nour, un ancien camarade de classe de Bachar Al-Assad devenu son conseiller politique avant de déserter le régime en 2007, a reconnu que l’idée de créer un Etat Alaouite à part entière ne datait pas d’hier dans l’optique de la politique du régime syrien.
19-        Aussi, les mêmes sources confient que Mohammed Nasif, un ancien professeur de Bachar Al-Assad devenu l’un de ses plus proches conseillers, avait commencé à parler d’un Etat exclusivement alaouite en 1997. Egalement, Plusieurs Généraux syriens parlent ouvertement de la création d’un Etat alaouite. Cependant,  Pour l’heure, Bachar Al-Assad continue à parler de l’Etat syrien car c’est ce qui lui donne sa légitimité. Mais les Généraux du régime pensent de plus en plus sérieusement à la création d’un Etat alaouite comme une solution possible.

20-        Certaines  experts reconnaissent que les massacres de Tremseh, lors desquels les forces du régime ont usé d’une puissance de feu écrasante pour détruire en grande partie ce village et où des témoins affirment avoir vu des militaires alaouites exécuter des dizaines de personnes, font partie d’un plan d’attaque systématique des troupes de Bachar Al-Assad visant à établir un Etat alaouite à part entière.
21-        A dire vrai, étant une minorité à la tête du pays, les Alaouites, une ramification de l’islam chiite, se battent à mort pour s’affirmer face à une opposition majoritairement sunnite. De la sorte, à Damas la politique se réoriente après l’échec cuisant de faire taire la rébellion qui touche le pays depuis 16 mois. Le plan B : faire fuir les Sunnites de la terre alaouite. En effet,  sur place on assiste de plus en plus à « une balkanisation du conflit ». « Il n’y a plus de solution politique. C’est fini depuis longtemps. Cette bataille se fera les armes à la main », déclarent certains officiers du régime syrien.
22-        Depuis les premières attaques sur les Sunnites vivant dans la terre traditionnellement alaouite des montagnes et de la côte ouest de la Syrie (qui abrite les ports de Lattaquié et Tartous), les hommes de la milice alaouite, plus connus sous le nom de shabiha (malfrats), ont, ces derniers mois, intensifié leurs massacres à l’Est, sur les plaines du bord de l’Oronte. Le plateau de l’Oronte est de plus en plus vu par le régime comme une zone tampon entre la région dominée par les Alaouites à l’ouest et les deux grandes villes sunnites de Homs et de Hama, hauts lieux de l’opposition. Le régime tend, de la sorte,  à relier la région Alaouite de l’ouest et la plaine de la Bekaa-Nord du Liban, région chiite de son allié traditionnel le Hezbollah. Le régime utilise donc tous les moyens répressifs pour faire fuir la population sunnite de cette région.
23-        Les massacres des villages sunnites sont donc faits pour nettoyer la rive gauche de l’Oronte des Sunnites, et les opérations militaires dans la zone sont organisées pour faire fuir les Sunnites à l’Est.  Ainsi, des rumeurs circulent, parmi les Alaouites, sur d’éventuelles ressources en pétrole et en gaz trouvées près de la côte. « Ces rumeurs nous disent que nous, Alaouites, vivront dans un Etat riche très prochainement. »
24-        A  Homs, une ville jadis peuplée de près d’un million d’habitants,  la plupart des quartiers sunnites étaient la cible de bombardements et avaient été en grande partie abandonnés, à l’exception de quelques familles restantes et des rebelles. Les quartiers alaouites sont quant à eux toujours peuplés, protégés par l’armée.
25-        La déportation massive des Sunnites a même atteint les environs de Damas. Alors que les pertes s’accumulent des deux côtés, la lutte entre les Sunnites, qui représentent 74% de la population syrienne, et la minorité alaouite, qui ne représente que 13% de la population mais domine au sein de l’élite, devient de plus en plus atroce.

V- Bachar Al-Assad veut-il vraiment créer un Etat Alaouite ?
26-        Nombreux sont les experts et commentateurs qui pensent que le régime syrien n’est plus en mesure de gouverner la Syrie dans quelques années. Alors tout est-il perdu pour Bachar Al-Assad? Une chute définitive est une idée exclue et catégoriquement rejetée  par les leaders politiques et militaires  qui gouvernement  la Syrie depuis quarante ans.  Pour cette classe syrienne, il ne faut jamais renoncer. C’est  un principe qui a été appliqué fidèlement, pendant quarante ans, par le régime syrien face à l’Irak, à Israël, aux Etats-Unis ou au Liban. Quand  la situation tourne  mal, il faut faire un profil bas, adopter une position de repli et attendre son heure parce qu’inévitablement viendront des jours meilleurs. C’est ce qu’a scrupuleusement fait Hafez Al-Assad pendant de longues années au Liban. C’est pourquoi, le recul de Bachar Al-Assad  ne serait envisageable qu’en cas d’effondrement total et subit de la situation dans son environnement proche. Ce n’est qu’à ce moment là qu’il passerait au plan B : la création de l’Etat Alaouite.
27-        Aujourd’hui, c’est naturellement la région alaouite, dans le Nord-Ouest de la Syrie, qui apparait comme l’unique position de repli ou l’unique endroit de refuge. Même si une partie de la communauté  alaouite ne pardonne pas à Bachar Al-Assad sa gestion brutale de la crise, c’est quand même là que le pouvoir alaouite est assuré de trouver un retranchement familier et défendable. La famille Al-Assad et les principaux dirigeants politiques et militaires, ainsi que la majorité des officiers de l’armée sont alaouites et originaires de cette région qui s’étend sur un peu plus d’une centaine de kilomètres entre les frontières nord du Liban et turques.
28-        C’est dans cette région qu’il y a les deux principaux ports syriens (port de Tartous et port de Lattaquieh)  et que la plaine littorale est dominée par  la montagne Ansarieh, citadelle naturelle dont les alaouites connaissent tous les détours. Hafez Al-Assad a, par le passé, soutenu cette région sur tous les plans et a procédé à y annexer de nouveaux territoires vers l’est, notamment en direction de Homs et Hama, hors de la zone historiquement alaouite, et la Bekaa nord (la plaine de la Bekaa au Liban). Des quartiers alaouites sont nés autour de Homs. De la sorte, une véritable région alaouite a ainsi été créée dans cette région.
VI- L’idée de créer un Etat Alaouite n’est pas nouvelle
29-        La  création d’un Etat alaouite ne serait pas une nouveauté.  Sous leur mandat, les Français avaient déjà créé un Etat alaouite, ce qui leur apportait le soutien d’une grande partie de la communauté alaouite qui n’acceptait pas  d’être fusionnée dans une grande Syrie dominée par les sunnites. Ainsi quand la France rattacha, en 1936, l’Etat Alaouite au reste du pays, des chefs de tribus alaouites, dont le grand-père de Hafez Al-Assad, Souleiman Al-Assad,  adressèrent une lettre au président du Conseil français Léon Blum pour réclamer que leur autonomie soit maintenue et insistant pour que les français restent en Syrie afin de protéger la liberté et l’indépendance des alaouites.
30-        Depuis quelques mois,  les opérations militaires d’envergure menées par les forces du régime alaouite  témoignent  de cette volonté de renforcer l’identité alaouite dans une région élargie.  Aussi, depuis le début de l’année, des quartiers sunnites de Homs, d’Idlib, et de villes et villages sunnites de cette région ont été rasés par les chars de l’armée régulière et par la destruction massive et systématique. A l’implantation des alaouites au cours des dernières décennies, succède aujourd’hui l’exode des sunnites et chrétiens.
31-         Egalement, sans qu’il soit possible de  vérifier leur importance, des stocks d’armes lourdes, chimiques  et stratégiques  auraient été transportés par les forces du régime vers la côte et vers la montagne alaouite, dans les bases militaires qui existent déjà. Toutes les unités d’élite de Bachar Al-Assad, qui disposent de l’armement le plus lourd et sophistiqué, sont contrôlées par les alaouites et pourraient rejoindre rapidement la région alaouite.  Plusieurs éléments et circonstances semblent donc indiquer que l’hypothèse d’un repli vers le territoire alaouite est sérieuse et, peut-être même, préparée de très longue date par le régime. Mais un Etat Alaouite en Syrie serait-il viable ?

VII- Un Etat Alaouite pourrait-il être viable ? 
32-        Un Etat alaouite pourrait éventuellement être viable grâce à sa situation géographique (le littoral maritime), à ses ports, au transit des marchandises et des produits pétroliers, à son aéroport, à ses terres agricoles, à l’uniformité de sa population qui compte quelque deux millions de personnes et surtout grâce au soutien militaro-financier que les Russes et les Iraniens pourraient apporter à cet Etat. Avec ses conquêtes territoriales récentes, la superficie de l’Etat alaouite serait approximativement  similaire à celle du Liban ou à celle de l’Alsace en France.
33-        La création d’un Etat alaouite, qui arrêterait le démembrement de la Syrie actuelle, serait une catastrophe pour les Syriens sunnites et les syriens chrétiens, qui n’auraient plus d’accès à la mer et  qui dépendraient donc totalement des Etats voisins avec lesquels les relations évoluent traditionnellement en fonction des circonstances du moment. Ainsi, en face  d’un Etat Alaouite fort soutenu et invincible, les moyens d’action des sunnites seront limités, alors que les chrétiens qui seraient méprisés (et qu’ils le sont déjà) par les sunnites -parce qu’ils sont considérés par ces derniers  comme  des traitres et d’anciens alliés du régime- finiraient hélas par disparaître et par connaître le même sort que leurs frères irakiens.
34-        En revanche,  le clan de Bachar Al-Assad aurait le soutien de la Russie qui chercherait à être assurée  de conserver l’usage stratégique et militaire des ports de Ladakieh et de Tartous. L’Iran, quant à elle,  apporterait également, son soutien à l’Etat Alaouite,  surtout que l’extension de la région alaouite vers l’Est va lui offrir  un accès au nord de la Bekaa libanaise (région de Baalbek –Al-Hirmel), ce qui lui permettrait de continuer  à ravitailler le Hezbollah libanais pro-syrien en armes et en recrue.
35-        Même Israël, étant favorable à la création de petits Etats confessionnels dans la région, pourrait se réjouir de la création d’un Etat Alaouite, bien que cela aboutisse, par voie de conséquence, à la création d’une situation imprévisible sur la frontière du Golan désormais surveillée et gardée par une autorité syrienne qui n’aurait sans doute pas la même volonté que le régime Alaouite d’empêcher tout incident frontalier ou toute  intrusion de terroriste syrien sur le territoire israélien.
36-        Quant au Liban, il risquerait de payer le prix le plus cher à l’issue du démembrement de la Syrie. En effet, une guerre civile pourrait éclater de nouveau au Liban entre sunnites pro-syriens et chiites pro-alaouites. Ce risque de guerre civile est bien réel, en ce qui concerne le Liban, qui a déjà vu affluer des dizaines de milliers de réfugiés syriens sur son territoire. Les deux pays sont intimement liés. La crise syrienne déteint inévitablement sur le Liban. En effet, cette interférence  pourrait relancer le conflit interlibanais et conduire à une nouvelle guerre civile, ce qui pourrait aboutir au démembrement du pays et à la création de trois Etats confessionnels, voir de quatre Etas confessionnels (un Etat sunnite, un Etat chiite, un Etat chrétien et un Etat druze), et à la disparition, à long terme, des chrétiens libanais qui sont actuellement très affaiblis et déchirés.
37-        D’autres pays voisins sont également concernés: la Jordanie, où affluent de nombreux réfugiés, ou encore la Turquie, en raison de la question des Kurdes, qui vivent à cheval entre les deux pays.
38-        Concernant les pays occidentaux, déjà impuissants face à la crise syrienne, ils pourraient  s’estimer satisfaits si ce démembrement de la Syrie met fin à la guerre civile.
Aux auditeurs et  anciens de l'IHEDN , CEDS ,Ecole de guerre....