samedi 28 décembre 2013

Le Liban, microcosme des tensions régionales

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L'assassinat d'un responsable libanais hostile au régime syrien montre que le Liban est devenu un microcosme des rivalités dans la région, où Damas et son allié iranien se sentent plus enhardis grâce aux succès contre les rebelles.







"Cet assassinat politique reflète bien plus qu'un simple débordement du conflit syrien, cette étape est dépassée. Désormais, nous entrons dans une guerre irano-saoudienne par procuration", estime Karim Bitar, de l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).
Ryad, qui soutient les rebelles syriens, et Téhéran, qui a envoyé des officiers pour soutenir l'armée syrienne, profitent de la polarisation au Liban pour régler leurs comptes, alors que ce petit pays "n'a aucune immunité", ajoute l'analyste basé à Paris. Le Liban est profondément divisé par la guerre en Syrie, le Hezbollah combattant aux côtés du régime de Bachar al-Assad, tandis que la coalition du 14 mars soutient les rebelles depuis le début du conflit en mars 2011.
Et si la tutelle de Damas sur son voisin s'est officiellement terminée en 2005, la Syrie maintient son influence au Liban via le Hezbollah, ajoutant aux tensions politiques et communautaires au Liban.
Pour Lina Khatib, directrice du Carnegie Middle East Centre, le Liban est devenu "un microcosme des conflits régionaux".
Selon elle, l'inaction occidentale face au drame syrien, les négociations sur les armes chimiques syriennes et celles sur le nucléaire iranien, ont par ailleurs enhardi le président Assad et ses alliés en Iran et au Liban.
Sur le terrain, en outre, l'armée syrienne et ses alliés ont enregistré toute une série de victoire face aux rebelles ces derniers mois.
Mme Khatib rappelle que l'assassinat de Mohammad Chatah intervient après "une série d'attaques et de contre-attaques des camps politiques ennemis" au Liban.
En novembre, un double attentat suicide revendiqué par un groupe lié à Al-Qaïda avait visé l'ambassade d'Iran, faisant 25 morts et le Hezbollah avait accusé l'Arabie saoudite d'être derrière l'attaque.
Le 23 août, un double attentat à la voiture piégée contre deux mosquées sunnites avait fait 45 morts à Tripoli, grande ville du nord.
Du 'pur terrorisme'
Pour Karim Bitar, les attentats visant aussi bien la coalition du 14 mars que ceux contre le Hezbollah sont du "pur terrorisme", mais "le modus operandi et les motivations diffèrent".
Les assassinats ciblées contre le 14 mars ont en effet commencé des années avant la révolte syrienne: depuis 2005, neuf hommes politiques et journalistes anti-Assad ont été assassinés.
Avec l'attentat contre Mohammad Chatah, Damas "pourrait bien envoyer le message qu'il est encore capable de déstabiliser le Liban si ses intérêts ne sont pas préservés", estime M. Bitar.
Quant aux attaques contre le Hezbollah, "elles font partie d'une lutte régionale plus vaste entre différents services de renseignements, et sont la conséquence de l'animosité grandissante entre sunnites et chiites".
La rivalité entre l'Iran chiite et l'Arabie saoudite sunnite étant à son plus haut niveau, il est plus que probable que les attaques dont souffre le Liban se multiplient.
"Seul un rapprochement entre l'Iran et les Saoudiens peut y mettre un terme. Et cela semble peu probable", ajoute l'analyste de l'IRIS.
"Les modérés libanais n'ont plus voix au chapitre, et il ne reste que les extrémismes, chiites et sunnites", déplore-t-il.
Ces développements s'inscrivent par ailleurs dans un Liban en pleine crise politique, qui n'a pas eu de gouvernement depuis huit mois. Et le Hezbollah et les partisans de la coalition du 14 mars apparaissent plus éloignés que jamais d'un accord.
"Ce dernier assassinat va faire durer le blocage entre les deux camps", affirme Imad Salamé, qui enseigne les sciences politiques à l'Université américaine du Liban.

"Il est très probable qu'une nouvelle série d'assassinats et d'attentats arrive, car aucune solution acceptable pour les deux camps ne se profile à l'horizon".
source:AFP

samedi 24 août 2013

SYRIE: Les scénarios d'intervention militaire

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La présence de la US Navy en Méditerranée va être renforcée avec le déploiement d'un quatrième navire de guerre américain armé de missiles de croisières, en raison des derniers développements de la guerre civile syrienne, a annoncé vendredi 23 août un responsable du Pentagone. AFP PHOTO/US NAVY/CHAD R. ERDMANN  
La présence de la US Navy en Méditerranée va être renforcée avec le déploiement d'un quatrième navire de guerre américain armé de missiles de croisières, en raison des derniers développements de la guerre civile syrienne, a annoncé vendredi 23 août un responsable du Pentagone. AFP PHOTO/US NAVY/CHAD R. ERDMANN
Zones tampon, zone d'exclusion aérienne, neutralisation des armes chimiques...

De la neutralisation de l'arsenal chimique de Bachar el-Assad à l'établissement d'une zone d'interdiction aérienne, les différents scénarios d'action militaire en Syrie comportent des conséquences et risques d'engrenage qui depuis deux ans ont dissuadé la communauté internationale d'intervenir.
A Washington comme à Paris, une intervention massive au sol est jugée hors de question.

+ L'établissement de zones tampon
Il s'agit de créer un sanctuaire, "vraisemblablement le long des frontières avec la Turquie et la Jordanie", pour faciliter la distribution d'aide humanitaire aux réfugiés et permettre à l'opposition de s'organiser et de s'entraîner, explique le plus haut gradé américain, le général Martin Dempsey, dans une lettre à un élu.
Cette option faciliterait la formation de l'opposition modérée par les Etats-Unis et d'autres pays, comme c'est déjà le cas en Jordanie.
Cela passe par "l'établissement d'une zone limitée d'exclusion aérienne" et "des milliers de troupes américaines au sol, même si elles sont stationnées hors de Syrie, pour soutenir ceux qui défendent physiquement ces zones", détaille le général Dempsey.
Le risque est de "laisser au régime de Bachar el-Assad le contrôle de l'essentiel du territoire", et de n'aider l'opposition qu'à s'assurer du contrôle de poches de territoire sans lui permettre de l'emporter, juge Anthony Cordesman, du Center for Strategic and International Studies (CSIS) à Washington.

Selon les informations recueillies par Isabelle Lasserre pour Le Figaro, les Américains formeraient discrètement depuis plusieurs mois, dans un camp d’entraînement installé à la frontière jordano-syrienne, des combattants de l’Armée syrienne libre (ASL) triés sur le volet. Leurs protégés auraient commencé à bousculer des bataillons syriens dans le sud du pays, en approchant de la capitale. Selon David Rigoulet-Roze, chercheur à l’Institut français d’analyse stratégique, cette pression militaire aurait été ressentie jusque dans la Ghouta (région dont l'opposition syrienne affirme qu'elle a été le théâtre d'un bombardement à l'arme chimique) et aurait été considérée comme une menace par Damas. En juillet dernier, le porte-parole du président Assad avait publiquement affirmé que le régime n’utiliserait pas d’armes chimiques en Syrie "sauf en cas d’agression extérieure". L’intrusion d’agents étrangers dans le sud du pays, par exemple...

Vendredi 23 août, un responsable jordanien a annoncé que les chefs d'état-major de plusieurs pays occidentaux et musulmans dont ceux des Etats-Unis et d'Arabie saoudite se réuniraient dans les prochains jours en Jordanie pour examiner les retombées du conflit en Syrie.


+ La zone d'exclusion aérienne
Cette option, proposée par de nombreux partisans d'une intervention, viserait à empêcher le régime d'utiliser ses avions et hélicoptères pour bombarder et ravitailler ses troupes.
Elle suppose de neutraliser les défenses aériennes syriennes, qui "au début de la guerre civile comptaient parmi les plus efficaces et denses au monde, sans doute juste après celles de la Corée du Nord et de la Russie", affirme l'US Air Force dans une étude qui les chiffre à "environ 650 sites anti-aériens".
"Les plus inquiétants abritent les SA-5 Gammon, qui ont une portée de 300 kilomètres et 30.000 mètres d'altitude", précise l'étude.

Ce scénario implique également de bombarder les aéroports et les infrastructures de soutien et requiert "des centaines" de bombardiers, avions ravitailleurs, de reconnaissance et de guerre électronique pour brouiller les radars ennemis, précise le chef d'état-major interarmées américain.
Rien que pour les frappes initiales, quelque 72 missiles de croisière seraient nécessaires pour mettre hors d'usage les principales bases aériennes du régime, selon une étude de l'Institut pour l'étude de la guerre (ISW).

Pour Anthony Cordesman, cette option d'intervention suppose l'accès à des bases aériennes dans des pays proches de la Syrie et la participation des Britanniques, Français, Saoudiens, Emiratis et Qataris pour donner une légitimité internationale accrue face à l'opposition de la Russie et de la Chine.

Washington peut "absolument" mener cette opération, selon le général James Mattis, ex-patron du Centcom qui chapeaute les forces américaines au Moyen-Orient. "Mais les tueries se poursuivront" parce que l'essentiel des bombardements par le régime est le fait de l'artillerie au sol, a-t-il noté lors d'une intervention lors d'une conférence fin juillet.
Mais pour Anthony Cordesman, la zone d'exclusion aérienne devrait préparer le terrain à "une zone d'interdiction de mouvements": il s'agirait ensuite de bombarder les troupes du régime, comme cela avait le cas des forces libyennes en 2011.

De simples frappes à l'aide missiles de croisière pour ne pas s'exposer aux défenses aériennes syriennes prendraient du temps avant d'entraîner une "dégradation significative des moyens militaires du régime et une augmentation des désertions", note le général Dempsey dans sa lettre. Elles posent également le problème de possibles "représailles" et de dommages collatéraux dans la population.


+ La neutralisation des armes chimiques syriennes
Avec cette option, il s'agit de "détruire une partie" des centaines de tonnes de sarin, gaz moutarde et gaz VX possédé par le régime syrien, "d'interdire leur transport" ou encore de "s'emparer et sécuriser" certaines sites impliqués dans le programme d'armes chimiques syrien, selon le plus haut gradé américain.
"Au minimum, cette option implique une zone d'exclusion aérienne, des frappes aériennes et de missiles" ainsi que "des milliers de forces spéciales et autres troupes au sol" pour donner l'assaut aux sites et les sécuriser.
"Le résultat serait le contrôle d'une partie, mais pas de toutes les armes chimiques" et pourrait "faciliter l'accès des extrémistes" aux sites non contrôlés, craint le général Dempsey, réticent à toute intervention.


+ Les frappes aérienne au Kosovo, possible précédent pour Washington
Les autorités américaines pourraient s'inspirer des frappes aériennes lancées au dessus du Kosovo à la fin des années 1990 pour déclencher une action similaire en Syrie, sans mandat de l'ONU, a rapporté le New York Times samedi 24 août.
Lors du conflit du Kosovo en 1998-1999, la Russie a soutenu le régime yougoslave de Slobodan Milosevic, accusé d'atrocités envers les civils dans cette province serbe. Dans la mesure où la Russie opposait son veto au Conseil de sécurité de l'ONU, il était impossible de parvenir à une résolution autorisant le recours à la force contre la République yougoslave.
En mars 1999, l'OTAN a déclenché des frappes sur les forces serbes stationnées au Kosovo, arguant que les violences commises par elles constituaient une situation d'urgence humanitaire. L'attaque a duré 78 jours.

Un an après avoir averti la Syrie que l'utilisation d'armes chimiques dans le conflit serait franchir la "ligne rouge", l'administration du président Barack obama cherche les moyens de répondre au régime de Bachar el-Assad si un recours effectif à ces armes était prouvé.
Aujourd'hui, comme alors, la Russie s'oppose à une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU autorisant le recours à la force contre la Syrie.

"Ce serait aller trop loin que de dire que nous sommes en train d'élaborer une justification légale à une action militaire, dans la mesure où le président n'a pris aucune décision" a confié au New York Times un haut responsable de l'administration, sous couvert d'anonymat. "Mais, bien évidemment, le Kosovo est un précédent pour une situation qui peut paraître similaire" a-t-il ajouté.

Le débat autour du Kosovo a été l'un des sujets examinés à propos du conflit syrien, a expliqué la même source. Les conséquences possibles d'un lancement de frappes contre la Syrie sur les pays de la région comme le Liban, la Jordanie, la Turquie ou l'Egypte, sont également étudiées, a-t-il précisé.

Dans un entretien sur CNN, le président Obama a affirmé que les accusations de recours aux armes chimiques par le régime syrien représentaient "un événement important", "très troublant" et "profondément inquiétant".
Le président américain a indiqué que la question de savoir si une intervention militaire des Etats-Unis contre un autre pays sans mandat du Conseil de sécurité de l'ONU enfreindrait les règles internationales était étudiée.

Dans la nuit du vendredi au samedi, le secrétaire américain à la Défense Chuck Hagel, a annoncé le déploiement de moyens militaires afin de fournir des "options" au président si Barack obama devait donner l'ordre d'une intervention en Syrie.
Vendredi, un responsable du Pentagone a indiqué que l'US Navy va renforcer sa présence en Méditerranée avec un quatrième navire de guerre américain armé de missiles de croisières, en raison des derniers développements de la guerre civile syrienne. Le responsable a pris soin de souligner que la marine américaine n'avait reçu aucun ordre en vue d'éventuelles opérations militaires en Syrie.
source: AFP

lundi 29 juillet 2013

L’AVENIR ASSOMBRI DES GÉNÉRAUX ÉGYPTIENS

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L’AVENIR ASSOMBRI DES GÉNÉRAUX ÉGYPTIENS
PAR LE COLONEL JEAN-LOUIS DUFOUR

L’avenir assombri des généraux égyptiens Par le colonel Jean-Louis Dufour
Professeur au Centre d'Etudes Diplomatiques et Stratégiques de Paris (CEDS ) Jean-Louis Dufour, est un ancien officier supérieur de l’armée française. Il a servi en qualité d’attaché militaire au Liban, commandé le 1er Régiment d’infanterie de marine et le bataillon français de la Finul. Chargé du suivi de la situation internationale à l’état-major des Armées (EMA-Paris), il s’est ensuite spécialisé dans l’étude des crises et des conflits armés. Ancien rédacteur en chef de la revue «Défense», professeur dans nombre d’universités et instituts francophones, il est l’auteur de plusieurs ouvrages, parmi lesquels «La guerre au 20ème siècle» (Hachette, 2003), «La guerre, la ville et le soldat» (Odile Jacob, 2006), «Un siècle de crises internationales» (André Versaille, 2009)
Mieux vaut laisser aux spécialistes le soin de décider si la destitution de Mohamed Morsi  relève d’un coup   d’Etat ou d’un soulèvement populaire. L’Egypte, eu égard à sa géographie, sa population, son économie, a  besoin de la stabilité que peut lui assurer un pouvoir fort et centralisé. L’histoire en témoigne. Les pharaons ont bâti leur empire en appliquant ce modèle. Puis les occupants étrangers les ont imités, instituant une autorité centrale appuyée sur la force. En 1952, Nasser,
en renversant la monarchie, a fondé l’Etat égyptien moderne, fort d’un chef à sa tête et d’une armée pour l’appuyer.
La conformité d’un régime aux critères démocratiques occidentaux est un indicateur de stabilité arbitraire pour nombre d’Etats moyen-orientaux, Egypte comprise. Dans une région dont l’Occident et plus spécialement les Etats-Unis tendent à se désengager, la stabilité est la clé.
Quand ils ont déposé Morsi, les généraux égyptiens ont implicitement garanti au monde, Occidentaux en tête, le maintien de ce que ceux-ci considèrent comme l’essentiel, la paix avec Israël et la liberté d’emprunter le canal de Suez. Le reste, c’est-à-dire la manière dont fonctionne l’Egypte, ne concerne que les Egyptiens eux-mêmes, pourvu que l’ordre continue d’être maintenu sous le contrôle de l’armée.
Or les derniers évènements représentent un dangereux précédent pour les militaires et pour la façon de diriger l’Egypte. Depuis les émeutes de 2011 qui ont chassé Moubarak, le peuple a fait de ces protestations bruyamment exprimées un procédé ordinaire de renversement du pouvoir. Même si l’armée demeure l’arbitre, sa position, de révolte en révolte, devient moins favorable, tandis que les contraintes économiques, sociales, politiques s’accumulent.
Les 18 mois de régime militaire qui ont suivi la chute de Moubarak ont placé les généraux en compétition avec de jeunes mouvements jusqu’à culminer par des manifestations de grande ampleur, comme celles de janvier 2012 où le peuple a exigé des élections. Celles-ci ont amené au pouvoir Morsi et les Frères musulmans.  Quand, début 2013, les forces de police se sont jointes aux émeutiers de Port Saïd, l’armée a dû intervenir. C’était là un nouvel avatar de son implication directe après un demi-siècle de gestion indirecte des affaires de l’Etat.
Morsi déposé, l’armée a voulu concilier des sensibilités divergentes, tout en veillant à sauvegarder ses privilèges (voir encadré). Cependant, le processus démocratique qui avait conduit Morsi au sommet n’a pas permis de garder sous contrôle les groupes politiques qui s’étaient multipliés sitôt Moubarak destitué. Si les protestations islamistes à l’encontre des généraux signifient quelque chose, c’est que ces officiers vont avoir du mal à gérer cette culture de protestation en train de prospérer sur les bords du Nil. Des militaires affolés et un peuple rétif ne feront pas bon ménage avec la nécessaire stabilité du pays dont la gestion sera forcément difficile si l’on tient compte aussi d’une situation géostratégique, somme toute peu favorable.
Des réalités d’une géostratégie contraignante
Les frontières de l’Egypte sont artificielles, tracées par les Européens au travers de déserts sans relief. Contrairement à ses voisins, la population est homogène et le pays dispose d’un cœur géographique utile et bien défini : le Nil et sa vallée. Pour autant, tout n’est pas parfait.
Le terrain est âpre et les infrastructures, coûteuses à créer. La vie dans la vallée est possible mais exige beaucoup de travail et d’organisation, une irrigation soignée, un système élaboré de répartition des semences et du blé pour qu’ils soient présents partout dans le pays. Cela est inséparable d’une autorité centralisée. Depuis cinquante ans, l’armée égyptienne tient le rôle confortable des occupants de naguère, mais doit s’inquiéter de voir la population s’accroître, énorme contrainte eu égard aux ressources limitées du pays.
Le vrai défi pour les militaires est de savoir s’ils pourront garder le monopole de l’autorité. De même que les Frères musulmans d’Egypte ont créé des émules en Jordanie, Algérie, Tunisie, Turquie, les généraux égyptiens ont inspiré, d’Algérie en Irak, des régimes où les gouvernements civils sont ou ont été soutenus par l’armée. Ces derniers temps, cependant, ce système semble dépassé : Saddam Hussein a été chassé, le régime baasiste syrien affronte une insurrection, l’armée algérienne a perdu le monopole du pouvoir. En Egypte, le contrôle de l’Etat par l’armée apparaîtra bientôt comme une anomalie. Confronté au mécontentement de la population et à ses aspirations politiques, les généraux vont devoir, ou bien lâcher du lest, comme l’ont fait les militaires algériens ou turcs, ou résister et prendre le risque d’être renversés,  tels les baasistes syriens ou irakiens.
Des décennies durant, le système politique égyptien dominé par les militaires est demeuré peu contesté. Encore aujourd’hui, l’armée est l’institution la plus puissante du pays, mais son influence décline. L’instabilité du pays depuis 2011 a contraint les généraux à ne plus s’abriter, pour tirer les ficelles du pouvoir, derrière un grand parti national; comme celui-ci n’existe plus, une implication plus directe de leur part est inévitable.
L’opposition en Egypte applaudit l’armée pour la part qu’elle a prise dans la déposition de Mohamed Morsi. Toutefois, les 18 mois de sa gestion post
Moubarak montrent combien l’opinion peut être versatile. Le discours très méfiant à l’encontre des militaires prononcé par Morsi, quand il a refusé de céder à leurs exigences, eut été impensable il y a dix ans. De plus, avec des Frères musulmans rejetés dans l’opposition, l’armée va trouver sur son chemin des gens organisés et déterminés à se poser en rivaux des généraux. L’âge d’orde ces personnages étoilés paraît terminé dès lors que les problèmes économiques et énergétiques du pays comme ceux touchant à sa sécurité alimentaire vont s’aggravant.
Les militaires n’ont pas su rétablir leur position avant que prolifèrent des partis politiques indépendants et naisse une culture de contestation systématique. Le consentement des officiers aux exigences populaires, bien que conforme à leur volonté de miner l’influence des Frères musulmans, s’est effectué au prix, très lourd, de la légitimation de la protestation en tant qu’outil politique normal. Bientôt, les décisions des militaires seront contestées.
L’expérience égyptienne de démocratisation laisse l’Etat le plus peuplé et son armée la plus puissante du monde arabe, aux prises avec une contestation de leur autorité sans précédent dans l’histoire récente du pays. Au moment où les Frères musulmans et les partisans du processus démocratique rivalisent pour affaiblir la mainmise de l’armée sur le pouvoir d’Etat, la stabilité de l’Egypte, sans doute aussi celle de la région, sera de plus en plus sujette à caution.









Une armée prospère
…«Les militaires se sont garantis, sous le mandat de Morsi  
la même impunité judiciaire et la même autonomie budgétaire 
que celles dont ils jouissaient sous Moubarak»;
«L’armée égyptienne n’est pas seulement la seule institution 
encore fonctionnelle du pays, c’est-à-dire un corps où les ordres 
sont appliqués et la chaîne hiérarchique respectée, elle est aussi 
la principale entreprise d’Egypte. Mais à son propre profit, 
bien plus que celui du pays. Elle est en effet la première productrice 
de pain, la principale entreprise de travaux publics, ses usines 
fabriquent de la confiture, des vêtements et toutes sortes de 
biens de consommation courante. Son budget, dont l’aide 
annuelle américaine de 1,3 milliard de dollars depuis 1979, 
échappe à tout contrôle parlementaire et même gouvernemental. 
Ses officiers vivent dans des quartiers réservés et confortables…»
… «La paix avec Israël et la participation à la coalition occidentale 
lors de la guerre du Golfe, pourtant très impopulaires parmi les 
Egyptiens, n’ont pas écorné l’aura d’une armée dont l’essentiel 
des efforts sont tournés vers la conquête de l’opinion intérieure 
plutôt que vers la défense contre les menaces extérieures.
C’était probablement le but recherché par les stratèges de 
Washington, qui ont dépensé plus de 30 milliards de dollars en 
trois décennies en Egypte : que l’armée utilise ses centaines de 
chars Abrams pour canaliser les manifestations et ses stages de 
pilotages pour dessiner des cœurs dans le ciel du Caire».
in «L’Armée, jalouse gardienne de l’avenir de l’Egypte», 
Christophe Ayad, Le Monde, 7-8 juillet 2013
source: L'économiste 

mercredi 12 juin 2013

Comment l'Afrique a été interdite de développement industriel

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Par Guy Gweth pour Diplogéostratégies

Parce que les mécanismes successifs visant à promouvoir l’industrialisation de l’Afrique depuis 1960 n’ont pas produit les transformations économiques escomptées, les analystes de Knowdys ont évalué les forces, les faiblesses, ainsi que les menaces et opportunités de l’industrie africaine. Les règles du commerce mondial apparaissent comme le meilleur moyen de maintenir l’industrialisation de l’Afrique sous embargo.
L’industrialisation de l’Afrique a connu quatre étapes principales depuis les indépendances politiques du début des années 60.
Le rouleau compresseur
La première étape (1960-1970) a été marquée par la nécessité pour les jeunes Etats africains de pousser les entreprises locales à produire des biens de consommation pour leur marché intérieur. Ce devait être le début de l’industrialisation du continent. Durant cette phase, certains décideurs africains (pas tous)  tentèrent notamment de limiter les importations aux produits intermédiaires et aux biens d’équipement dont les industries. Les plus téméraires imposèrent de barrières tarifaires et non tarifaires au commerce, et accordèrent des prêts directs aux industries locales afin d’importer des intrants. En vain. Le rouleau compresseur économique mis en place par les anciennes puissances coloniales découragea cette dynamique. De nouveau, il fallut importer les produits intermédiaires et les biens d’équipement dont les industries locales avaient besoin.
La perfusion financière
La deuxième étape, celle des programmes d’ajustement structurels (1980-1990), est marquée par deux évènements majeurs : la crise pétrolière et la chute des cours des produits de base. Ces deux crises obligent les Etats africains à solliciter l’aide des institutions de Brettons Woods. En réponse, la Banque mondiale publie en 1981, le rapport « Développement accéléré en Afrique subsaharienne: un programme d’action ». Les auteurs du rapport écrivent que les difficultés de l’Afrique sont dues à des fautes de gestion et de jugement. Pour ces analystes, l’avantage de l’Afrique réside non dans l’industrie, mais dans l’agriculture… Pour bénéficier de l’aide de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, les Etats africains se voient imposer un train de mesures drastiques allant de la libéralisation du commerce à la dévaluation de la monnaie en passant par la déréglementation des taux d’intérêt, la suppression des subventions publiques, la privatisation des entreprises publiques et parapubliques, etc. Placés sous perfusion financière internationale, les Etats revoient à la baisse leurs ambitions en matière d’industrialisation. Sans protection de l’Etat, l’industrie locale est laminée par la concurrence dans des pays pourtant bien partis à l’instar du Ghana, du Nigéria ou du Mozambique.
L’initiative PPTE
La troisième étape est celle des documents de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP) de 2000 à 2010. Devant l’échec dévastateur des programmes d’ajustement structurels et une dette insupportable, les Etats africains vont recourir à  l’initiative PPTE (pays pauvres très endettés) destinée à soulager les pays surendettés porteurs d’un programme détaillé de réduction de la pauvreté. En faisant la part belle au secteur social, les premiers documents de stratégie de réduction de la pauvreté ont malheureusement eu une incidence néfaste sur l’industrialisation du continent. Cette incidence a été légèrement gommée par certaines dispositions de la seconde génération des DSRP portant spécifiquement sur le développement industriel et agricole.
Le vent en poupe
La quatrième étape commencée en 2010 est celle de l’émergence de l’Afrique. Cette phase a été parfaitement résumée par  Carlos Lopes, secrétaire général adjoint de l’Organisation des Nations Unies et secrétaire exécutif de la CEA : «nous devons saisir cette occasion pour transformer notre continent pendant que nous avons le vent en poupe ». Sa croissance économique, l’accroissement de son marché domestique et l’importance de sa classe moyenne notamment placent, en effet, l’Afrique dans une configuration absolument favorable au développement de son industrie – malgré les contraintes.
En termes de forces, l’Afrique – dont les richesses du sol et du sol sont l’objet de toutes les convoitises – dispose en outre d’une croissance et d’une population capables de porter et de dynamiser le développement industriel du continent.
Un processus vertueux
Pour ce qui est des faiblesses, l’Afrique a d’importants efforts à réaliser aux plans énergétique, infrastructurel et normatif, ainsi qu’en matière de formation. En revanche, les pays qui disposent d’une politique d’industrialisation sont instamment invités dans un processus de transformation structurelle caractérisé par une diminution progressive de la part agricole et une augmentation de la part industrielle. Ce processus vertueux implique une réorientation stratégique au profit des activités à forte productivité et au détriment des activités à faible productivité, entre les secteurs. Devant l’ampleur du sujet, la vraie question est de savoir si les décideurs africains arriveront tous à trouver le juste milieu entre l’interventionniste et la loi du marché.
Une réduction des leviers de croissance
Au niveau des menaces, l’industrialisation de l’Afrique s’inscrit dorénavant dans un environnement où l’activation de certains mécanismes de politique industrielle appliqués par les pays développés et les pays émergents est soit interdite soit strictement réglementée. Qu’elles soient bilatérales ou multilatérales, les règles commerciales ont considérablement réduits les leviers qui auraient pu servir à promouvoir le développement industriel dans les pays d’Afrique qui ne ressortissent pas du groupe des pays les moins avancés (PMA). C’est le cas par exemple des subventions à l’exportation désormais interdites à l’exception hors PMA. C’est également le cas pour des accords de partenariat économique (APE) où les pays africains sont quasiment contraints d’abandonner l’utilisation de droits de douane comme outil de protection.
Un secteur manufacturier porteur
Sur le terrain des opportunités, les analystes de Knowdys relèvent que les trois principales branches du secteur industriel africain sont par ordre d’importance : les industries manufacturières, les industries extractives et la construction. La place de choix que pourrait davantage occupée l’industrie manufacturière s’explique essentiellement par l’importance de son impact sur les autres activités. Elle constitue, en effet, un puissant moyen de diffusion des nouvelles technologies dans les autres secteurs de l’économie, comme on il est aisé de l’observer dans la filière cacaoyère en Côte d’Ivoire ou dans le secteur minier en Afrique du Sud. Les enquêtes de la branche Intelligence économique de Knowdys montrent que le secteur manufacturier est le segment industriel qui offre le plus grand nombre d’opportunités en termes d’exportation, de croissance durable, d’emplois et de réduction de la pauvreté. Les opportunités offertes par les technologies de l’information et la volonté de grands pays émergents tels que la Chine de délocaliser certaines de leurs usines en Afrique pourraient booster ce secteur.
Solution: soutenir l’industrie locale et promouvoir l’innovation technologique
En guise de recommandations, les analystes de Knowdys encouragent les gouvernements africains à profiter de la croissance économique actuelle pour développer leurs activités manufacturières. Les vents n’ont jamais été aussi favorables. Pour mener à bien cette mission, les Etats africains doivent s’impliquer davantage dans le soutien à l’industrie locale et la promotion de l’innovation technologique face à l’exacerbation de la concurrence internationale.
Guy Gweth
Consultant-expert en intelligence stratégique et fondateur de Knowdys

mardi 11 juin 2013

Syrie : Répartition des forces - Juin 2013

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( Voir ci-dessous la répartition communautaire )

mardi 14 mai 2013

LIBAN : Lettre ouverte à Samir GEAGEA

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Lettre ouverte à Samir GEAGEA
Par Michel HAJJI GEORGIOU 


Cher M. Geagea,


La Chambre des députés est sur le point d’entériner demain,
 sauf deus ex machina, l’acte irréparable de décès de la formule
 libanaise
 du vivre-ensemble et du pacte national, chère à Michel Chiha,
Béchara el-Khoury et Riad el-Solh, renouvelée, depuis, au moins
 à deux tournants historiques : l’accord de Taëf, avec ses tares
et ses imperfections, et le serment civil du 14 mars 2005.

C’est au nom d’une revendication identitaire combinée à des
 exigences d’une meilleure représentation au plan parlementaire
que la grande majorité des députés des partis chrétiens affiliés
au 14 Mars serait sur le point d’avaliser la proposition suspecte
 du Rassemblement dit orthodoxe, qui ramène, au plan politique,
le citoyen libanais au simple stade d’un sujet de sa communauté
 religieuse,
 sinon de sa « tribu » sectaire. Il m’apparaît inutile de revenir
 sur le caractère suspect de la proposition en tant que telle
 dans son timing actuel, tant le groupe de personnalités politiques
qui fait le gros du Rassemblement orthodoxe en question est
connu tant pour son allégeance au régime syrien que pour sa
sympathie à l’égard de la stratégie identitaire de Moscou
dans la région, et donc pour son adhésion implicite
au projet iranien dit de « l’alliance des minorités »
au Proche-Orient. Tout cela a été largement expliqué et
 argumenté depuis que cette proposition piégée a été balancée
sur la scène politique locale, dans la seconde moitié
de l’année 2011, c’est-à-dire l’année par excellence du
printemps arabe.
Cher M. Geagea,
Je ne prends pas la peine de m’adresser au chef du parti Kataëb,
 l’ancien président de la République, Amine Gemayel,
ou au député Samy Gemayel, que je sais être un partisan
convaincu de cette loi. Je sais que c’est notamment par
 conviction idéologique que mon camarade de faculté Samy,
un adepte de Will Kymlicka, a fait ses choix.
Je ne prends pas non plus la peine de m’adresser au Hezbollah,
qui s’amuse de voir le 14 Mars empêtré dans ses
propres « manœuvres », et d’alimenter indirectement
la crise institutionnelle qu’il souhaite voir durer au Liban,
alors que lui participe tranquillement à l’épuration
 ethnique menée par le régime syrien dans la région de Homs.
 Encore moins au Courant patriotique libre, Michel Aoun
 ayant fait ses choix populistes, sectaires et suicidaires
 depuis longtemps.

Non M. Geagea. La question qu’une grosse partie de l’opinion
 publique nationale, en général, et chrétienne, en particulier,
 se pose est la suivante : mais qu’est-ce les Forces libanaises
 sont venues faire dans cette galère ? Elles n’ont en effet
 plus rien à gagner ou à prouver à la droite de l’échiquier
 politique chrétien, leur autorité à ce niveau étant plus qu’établie
et les équilibres de force entre les partis chrétiens
de l’ancien Front libanais
(Kataëb, FL, PNL et, dans une certaine mesure, Aoun)
étant inchangées et inchangeables. Comment l’homme
 qui a été le plus loin parmi les anciens chefs de guerre
dans la promotion et la défense, depuis 2005,
 de la symbolique de l’instant fondateur du 14 mars 2005,
du discours national et des valeurs républicaines,
au point de devenir la cible privilégiée des assassins,
 peut-il se retrouver aussi soudainement retranché dans
le plus petit carré sectaire, en porte-à-faux avec lui-même ?
Comment le leader qui a su reprendre, aux yeux du
 public islamo-chrétien du 14 Mars, le flambeau du souverainisme
 après le coup de force du 7 mai 2008, la « désertion » de
Walid Joumblatt et l’équipée absurde de l’initiative
 saoudo-syrienne menée par Saad Hariri, puis qui a été
 le plus loin dans la défense du printemps arabe et
de la révolution syrienne, loin du discours chrétien
 malade dhimmi et apeuré, peut-il aujourd’hui se
 retrouver embourbé dans un projet réducteur et
risible qui ne ressemble en rien à son discours
des six dernières années ?

L’intérêt des chrétiens est-il, à ce moment-charnière de
 l’histoire de la région, de se replier dans un enclos identitaire,
 ou d’exprimer plus que jamais leur être culturel au côté de
 leurs alliés musulmans démocrates-libéraux,
 dans un projet d’avenir ? L’enjeu, quel qu’il soit –
la volonté d’une représentation politique plus
importante ou une surenchère chrétienne pour contrer
 le populisme aouniste – mérite-t-il vraiment ce sacrifice,
ou plutôt ce suicide politique ? À quoi cela sert-il de se battre si,
 au bout du compte, l’on se laisse emporter, attirer et terrasser,
 inéluctablement, sur le terrain de son ennemi ?

Cher M. Geagea,
Depuis l’an 2005, encore une fois, vous avez rigoureusement
défendu, sans erreur aucune, les valeurs de la République.
Il est en votre pouvoir unique, aujourd’hui, de ne pas
 contribuer à l’assassinat de cette dernière (et de
la symbolique du 14 mars 2005 avec), voire même
de la sauver, en refusant de voter pour la loi sordide d’Élie Ferzli.
Vous avez présenté des excuses une première fois pour
les atrocités commises par les FL durant la guerre civile,
 avec un courage salué par l’opinion publique libanaise.

Rien ne vous empêche, aujourd’hui, de rééditer cet exploit
valeureux par un sursaut historique à caractère national,
 plutôt que de cautionner cette véritable atrocité pour
 l’âme libanaise qu’est la proposition Ferzli.
Les moments de vérité sont toujours les plus durs ;
l’on y est, c’est bien connu, encore plus solitaire qu’en prison.
Alors, bon courage.

Source : Par Michel HAJJI GEORGIOU |OLJ du 14/05/2013