mercredi 15 décembre 2010

LIBAN :Samir Frangié : Le Hezbollah doit avoir le courage de se dissocier de certains de ses membres s’ils venaient à être accusés

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Samir Frangié : Le Hezbollah doit avoir le courage de se dissocier de certains de ses membres s’ils venaient à être accusés


Le 7 décembre dernier, à l'hôtel Gabriel, un groupe d'une centaine d'intellectuels et de militants au sein de la société civile ont fait paraître le document fondateur du Rassemblement pour la justice et la réconciliation (RJR), avec en toile de fond le souci d'éviter au pays de sombrer dans la crise au lendemain de l'acte d'accusation du Tribunal spécial pour le Liban dans l'affaire de l'assassinat de Rafic Hariri, et de faire de cet acte judiciaire non pas le point de départ d'une guerre de mille ans, mais d'une réconciliation nationale définitive.

Pour « L'Orient-Le Jour », l'ancien député Samir Frangié, l'un des principaux artisans de ce texte, décortique le sens et la portée de cette initiative.

Question - Quel est l'objectif du Rassemblement pour la justice et la réconciliation au lancement duquel vous avez participé ?

Réponse - Depuis plusieurs mois déjà, le débat engagé sur le Tribunal spécial pour le Liban tourne principalement autour de questions portant sur la nature de l'enquête. Est-elle fondée sur de faux témoignages ou sur des écoutes téléphoniques manipulées par les Israéliens ? Les enquêteurs ont-ils pris en considération une éventuelle « piste » israélienne ? Les informations publiées par les médias étrangers ne remettent-elles pas en question l'intégrité de l'enquête censée demeurer secrète ? Ce débat, ponctué de menaces concernant la paix civile, ne prépare pas les Libanais à la parution prochaine de l'acte d'accusation. Or, celui-ci risque de provoquer un véritable séisme tant au Liban que dans la région. Voilà pourquoi nous avons décidé de lancer cette initiative dont l'objectif est de faire du processus de justice que l'acte d'accusation initie le point de départ d'une véritable réconciliation entre les Libanais.

Le Hezbollah, qui s'oppose catégoriquement au TSL, peut-il accepter la réconciliation que vous proposez, une réconciliation fondée sur la justice, et ce alors même qu'il pourrait être inculpé par l'acte d'accusation ?

L'acte d'accusation n'inculpe pas des communautés, des partis ou des États, mais des individus. Il est demandé au Hezbollah, au cas où certains de ses membres seraient inculpés, d'avoir le courage de se dissocier d'eux. Il doit le faire pour ne pas entacher son passé de résistant et sa participation à la libération du pays. Il doit le faire également pour préserver la communauté à laquelle il appartient et qui n'a pas ménagé ses sacrifices dans la lutte que lui-même a menée. Il doit y souscrire enfin pour ne pas faire de cet acte de justice le point de départ d'un conflit entre les communautés musulmanes aussi bien au Liban que dans la région.

Cette demande que vous adressez au Hezbollah vous semble-t-elle réaliste ?

Oui, si l'acte d'accusation incrimine certains de ses partisans. D'ailleurs, cette dissociation, la Syrie l'a faite depuis un moment déjà quand elle a annoncé par la voix de son ministre des Affaires étrangères sa volonté de traduire en justice tout citoyen syrien qui serait nommé dans l'acte d'accusation.

Pensez-vous que le Hezbollah, qui dispose d'une force militaire considérable, va accepter de se plier aux exigences d'une justice dont il n'a jamais accepté le principe même, estimant qu'elle n'est qu'une arme aux mains de ses adversaires ?

Je pense qu'il n'a pas le choix. La force dont il dispose peut certes lui permettre d'entraver le cours de la justice, mais elle ne peut pas lui permettre d'ôter à la justice sa portée symbolique qui, dans ce cas, est capitale. Le Hezbollah est aujourd'hui placé devant un choix difficile, entre se mettre au ban de la loi ou réintégrer l'État aux conditions de l'État.

Les autres Libanais n'ont-ils pas également de responsabilités en ces moments cruciaux ?

Certainement ! Il est impératif pour eux de préserver la justice en empêchant son instrumentalisation par un camp ou l'autre et d'aider, de ce fait, le Hezbollah à opérer cette dissociation nécessaire entre lui et les personnes qui pourraient être inculpées. Il est également impératif de faire de cet acte de justice le point de départ d'une véritable réconciliation. Il ne faut plus répéter les erreurs du passé et faire assumer à une communauté - aujourd'hui la communauté chiite, en 1990 la communauté chrétienne - la responsabilité de tous nos malheurs.

Vous liez dans le texte fondateur du RJR cette réconciliation à la reconnaissance par les Libanais de leur responsabilité commune dans les guerres qui ont ravagé leur pays. Pourquoi ?

L'assassinat de Rafic Hariri n'est pas le seul crime commis au cours de ces trente dernières années de guerre. Or c'est le seul crime à faire l'objet d'un jugement, ce qui a conduit certains à affirmer que la justice était sélective et donc, de ce fait même, « politisée ». La réponse à cet argument est, d'un point de vue juridique, évidente. Mais le problème que pose cette objection se situe ailleurs. Il est d'ordre éthique. Comment peut-on juger un crime tout en sachant que tous les autres - et ils sont nombreux - demeureront impunis, soit parce qu'ils ont fait l'objet d'une loi d'amnistie, soit alors parce que la justice n'en a pas été saisie ? Si l'assassinat de l'ancien Premier ministre fait aujourd'hui l'objet d'un procès en justice, il est nécessaire, par esprit de justice, de reconnaître notre responsabilité morale pour tous les crimes qui ne feront pas l'objet de jugement.

C'est à ce prix que la justice que nous réclamons pourra nous aider à tourner la page du passé, à mettre fin à l'impunité qui a longtemps prévalu et à réhabiliter la loi qui est au fondement de notre vie commune.

L’Orient-LeJour du 15/12/2010

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