vendredi 4 mars 2011

La révolution Facebook: le printemps arabe et le futur politique des réseaux sociaux

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La révolution Facebook: le printemps arabe et le futur politique des réseaux sociaux

La révolution en Tunisie et la chute du président égyptien Hosni Moubarak ressemblent aux bouleversements politiques observés dans le passé, sauf sur un point: le rôle clé joué par les réseaux sociaux. Facebook, en particulier, autrefois considéré comme un passe-temps high-tech pour adolescents désoeuvrés, apparaît désormais comme un outil politique de premier ordre. Pourquoi les réseaux sociaux ont-ils été si utiles aux manifestants tunisiens et égyptiens? Comment ces outils seront-ils utilisés par la suite? Vont-ils vraiment changer le monde?

Dans les pays les plus avancés sur le plan technologique, les hommes politiques se sont déjà emparés des outils internet avec grand profit – l’exemple le plus connu en est la levée de fond de Barack Obama pour la campagne présidentielle de 2008, qui a atteint près de 750 millions de dollars, dont beaucoup récoltés en ligne –, mais la révolution tunisienne et, en Egypte, les manifestations qui ont entraîné la chute du président Hosni Moubarak montrent que les réseaux sociaux sont, sur le plan politique, beaucoup plus puissants qu’on ne l’imaginait auparavant.

Les révolutions naissent avec les moyens du bord, et selon les spécialistes de l’Afrique du nord, pour les Tunisiens et les Egyptiens, un certain nombre de circonstances particulières ont fait des réseaux sociaux, et en particulier de Facebook, une arme de premier choix.

D’abord, parce que les citoyens de ces deux pays apprécient le web en tant que source d’information non censurée. Le gouvernement tunisien surveillait de près l’utilisation d’internet et a tenté de limiter l’accès à de nombreux sites, mais beaucoup de gens sont arrivés à contourner ces restrictions grâce à des combines permettant de cacher leur identité aux employés du gouvernement, explique Nejib Ayachi, président du Centre sur le Maghreb, un think tank centré sur l’Afrique du Nord à Washington.

En Egypte, les gens comptent sur internet pour avoir accès à des points de vue non censurés. Bien que le pays compte beaucoup de chaînes de télévisions et de journaux indépendants, il y avait toujours « des lignes rouges que vous ne pouviez franchir », explique Dalia Wahba, associée et directrice de la communication et du développement de CID Consulting, un cabinet de conseil spécialisé dans la communication et le développement de réseaux basé au Caire. Mais sur le net, « il n’y avait aucune ligne rouge », dit-elle. « Tout le monde était libre de dire ce qu’il voulait ». Sans surprise, les nouvelles concernant les évènements locaux et les commentaires se multiplièrent sur les blogs, au nombre de 40 000 selon des estimations.

Dans les deux pays, Internet touche un large public. La plupart des autorités estiment que 3,6 millions des 10,5 millions de Tunisiens sont connectés. En Egypte, sur 80 millions d’habitants, 17 millions, soit plus de 20 % de la population, le sont également. Ironie du sort, quand on connait les évènements récents, selon Dalia Wahba le gouvernement égyptien subventionnait l’accès internet, y voyant un vecteur important du développement économique.

Enfin, les réseaux sociaux permettent d’appréhender clairement la composition de ce public. En Egypte en tout cas, beaucoup des internautes les plus assidus sont jeunes, et comme d’autres jeunes un peu partout, ils sont pleinement entrés dans la dynamique des réseaux sociaux. Environ 5 millions d’Egyptiens sont sur Facebook – soit une multiplication par près de cinq en deux ans – et 58 % d’entre eux ont moins de 25 ans, d’après l’agence de relations publiques Spot On, basée à Dubaï.

Facebook est aussi populaire en Tunisie. Bien que le gouvernement ait piraté le site et tenté de s’emparer des mots de passe, les groupes de personnes exprimant leur mécontentement face au gouvernement de Ben Ali ont continué à grossir au fil du temps. Non seulement ces réseaux avaient une utilité en termes d’information, explique Nejib Ayachi, mais ils ont aussi fait naître chez ces personnes un sentiment d’appartenance collective.

Les réseaux de télécommunications mobiles ont également aidé les gens à communiquer. Nejib Ayachi rappelle qu’en Tunisie, presque tout le monde a un portable. En Egypte, selon des chiffres du gouvernement, plus de 56 millions de personnes, soit 70 % de la population, en sont également équipées.

Avec l’audience massive rassemblée par les blogs politiques et les pages Facebook, les manifestations sont devenues faciles à organiser. Un seul incident – l’immolation par le feu d’un vendeur de fruits et légumes poussé au désespoir en Tunisie, et l’exemple de la triomphante révolte tunisienne pour les Egyptiens –, et une réaction quasiment instantanée s’est mise en marche. En Egypte, certains bloggeurs et leaders du mouvement sur Facebook ont commencé par appeler à une marche le 25 janvier – des manifestations qui se sont ensuite transformées en révolte nationale. « Facebook a joué un rôle critique », assure Dalia Wahba.

Les prochains rendez-vous de la révolution

Les réseaux sociaux pourraient-ils jouer le même rôle subversif dans d’autres pays pauvres où un régime autoritaire est en place ? Les mêmes ingrédients – un grand nombre de personnes connectées, et joignables sur leurs mobiles lorsqu’elles ne le sont pas – sont, à coup sûr, présents dans de nombreux pays. Jared Cohen, ancien expert des réseaux sociaux auprès du département d’Etat américain et aujourd’hui à la tête de Google Ideas, cette nouvelle entité décrite pas les dirigeants de Google comme un « lieu de réflexion et d’action », notait récemment qu’aujourd’hui 5 milliards de personnes sont équipées d’un portable et 2 milliards utilisent internet.

Dans de nombreux pays en développement, les internautes partagent l’enthousiasme des Tunisiens et des Egyptiens pour Facebook. Les taux d’adoption des réseaux sociaux y sont extrêmement élevés. Contrairement à d’autres évolutions radicales qu’ont connues les télécommunications par le passé, et qui tendaient à avoir lieu d’abord dans les pays riches pour ensuite se propager aux pays pauvres, les réseaux sociaux semblent se répandre rapidement partout – et peut-être même plus vite dans les pays en développement. Au 10 décembre 2010, le deuxième marché de Facebook après les Etats-Unis était l’Indonésie, avec 32 millions d’utilisateurs, suivi du Royaume-Uni. La Turquie, les Philippines, le Mexique et l’Inde figuraient aussi dans les dix premières places.

Certains gouvernements ont cependant déjà entrepris de neutraliser le potentiel des réseaux sociaux en tant qu’outils politiques. En Chine par exemple, Facebook est bloqué par le système de sécurité que certains facétieux nomment la Grande Muraille Numérique de Chine, et les services les plus populaires dans le pays, comme Renren (qui signifie « tout le monde » en chinois et rassemble 160 millions d’abonnés) seraient étroitement surveillés.

L’intérêt officiel porté à l’activité des utilisateurs n’est d’ailleurs pas l’apanage des gouvernements non démocratiques. Aux Etats-Unis, l’administration Obama cherche à s’arroger le droit de saisir auprès d’une entreprise les données concernant l’activité d’un individu sur internet sans mandat judiciaire, si des enquêteurs fédéraux pensent y trouver un élément utile concernant une affaire de terrorisme.

Mais dans une certaine mesure, le concept des réseaux sociaux semble être si bien implanté qu’un accès internet pourrait ne même plus être nécessaire. Par exemple, après que le gouvernement a coupé internet en Egypte, certains utilisateurs ont basculé vers le système permettant d’utiliser Twitter grâce à une reconnaissance vocale, mis en place par Google.

D’un autre côté, certaines inquiétudes des utilisateurs pourraient limiter l’impact des réseaux sociaux les plus importants. La volonté des dissidents de garder l’anonymat (ce que Facebook, actuellement, ne permet pas) pourrait limiter leur valeur en tant qu’outil de mobilisation des masses. Les Frères musulmans par exemple, un important mouvement d’opposition officiellement interdit en Egypte, ont déjà lancé leur propre version de Facebook, www.ikhwanfacebook.com.

Les réseaux sociaux eux-mêmes pourraient aussi être confrontés à des problèmes complexes concernant la liberté de parole, les rendant peu accueillants pour les utilisateurs dont les opinions ne sont pas très populaires. Confronté à des demandes en ce sens, Facebook a eu par exemple beaucoup de mal à décider jusqu’où il devait aller dans la censure de pages créées par des groupes négationnistes. Lorsque Facebook deviendra une compagnie cotée en bourse, de telles pressions ne pourront que s’accentuer. Comme le résumait le slogan du film « The Social Network », « On ne peut pas avoir 500 millions d’amis sans se faire quelques ennemis ».

Certains, et en particulier Malcolm Gladwell, du New Yorker, affirment aussi que les liens superficiels tissés à travers les réseaux sociaux font moins pour l’activisme social que les liens puissants forgés entre activistes engagés prêts à mourir pour leur cause. « Les réseaux sociaux sont efficaces pour augmenter la participation – en diminuant le niveau de motivation nécessaire pour participer », écrit-il.

Mais sur le site AlterNet, Jeremy Brecher et Brendan Smith affirment que Gladwell ne comprend pas la vraie nature des réseaux sociaux. « Comparer Twitter à la NAACP (organisation historique de lutte pour les droits civiques des afro-américains, ndlr) revient à comparer un téléphone à une association de parents d’élèves. Ce ne sont pas les mêmes objets, ils n’ont pas la même fonction et par conséquent leur efficacité ou leur inefficacité ne peut tout simplement pas être comparée », expliquent-ils.

Quant à la critique portant sur la superficialité présumée des liens, écrivent-ils, la comparaison avec les sites de rencontres en ligne serait plus judicieuse, dans le sens où les réseaux sociaux peuvent aider des activistes aux opinions similaires à entrer en contact. En soi, ils ne font que mettre en relation des partenaires potentiels « mais dans les faits, ils ont mis en relation de nombreuses personnes qui se sont ensuite mis en couple et mariés ».

Une révolution d’un genre différent

Même si les gouvernements, les utilisateurs et les investisseurs ont un impact négatif sur le potentiel politique des réseaux sociaux, ces derniers semblent au moins fortement susceptibles de déclencher d’autres types de révolutions, scientifiques et techniques, qui pourraient être des éléments de rupture tout aussi fondamentaux sur le long terme.

« Quelque part sur la toile, vous savez qu’il y aura une autre personne ayant les mêmes points d’intérêts que vous », explique Inge de Waard, chercheuse spécialiste de l’e-learning à l’Institut de médecine tropicale d’Anvers, où elle aide des instituts partenaires en Equateur, en Inde, au Maroc et ailleurs à mettre en place des programmes d’e-learning. « Même dans la recherche, les gens n’ont pas envie de devoir attendre les prochaines publications d’articles pour pouvoir discuter d’un sujet – ils ont envie d’en discuter au moment où ils entament leur recherche. Pour ça, les réseaux sociaux sont le meilleur moyen de se mettre en relation avec des confrères, quel que soit le sujet concerné ».

Aujourd’hui les gens utilisent les outils de type réseaux sociaux pour tout un tas d’autres projets, explique-t-elle, citant en exemples Ushahidi, un projet africain de journalisme citoyen, et l’Université Virtuelle Africaine. La mise en réseau est même en train de changer la manière dont les personnes font face à une crise : en Haïti, juste après le séisme de l’an dernier, les gens se sont mis à utiliser les réseaux sociaux pour communiquer sur leurs besoins et s’organiser, raconte-t-elle.

Finalement, résume Inde de Waard, si les réseaux sociaux ont prospéré si rapidement c’est qu’ils satisfont trois besoins fondamentaux de l’être humain : communiquer, apprendre et se sentir membre d’une communauté. Avec trois leviers comme ceux-là pour expliquer leur adoption, elle assure qu’il n’y a rien d’étonnant à voir les réseaux sociaux tisser si rapidement leur toile dans le monde entier.

En Afrique du Nord en tout cas, les réseaux sociaux sont clairement partis pour durer. Economiques, pratiques et plus efficaces pour former des communautés virtuelles que les modes de communications précédents, les réseaux sociaux ont de fortes chances de rester dans le paysage lorsque les mouvements de révolte s’achèveront. « Je pense qu’ils continueront à les utiliser », déclare Nejib Ayachi, du Centre sur le Maghreb. « Ils y sont accros ».
 
source: ParisTech Review / Rédaction / February 28th, 2011

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