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Les cinq piliers de la puissance chinoise en Afrique
Depuis la Déclaration de Beijing d’octobre 2000, neuf ouvrages sur dix consacrés à la percée chinoise en Afrique ont été édités en Europe et en Amérique du Nord. Des études essentiellement quantitatives où chiffres et anecdotes ne suffisent pas à rendre compte des vraies raisons de la puissance chinoise sur ce continent.
Cette analyse relève exclusivement de la perception africaine des relations sino-africaines. Elle répond au relatif « déficit de points de vue africains » dans une problématique travaillée par la guerre de l’information, l’hyper-concurrence internationale et la redistribution des pièces sur les échiquiers géoéconomique et géopolitique africains.
Sur les terres d’Afrique, la puissance chinoise est perçue par les analystes africains de Knowdys comme reposant principalement sur cinq piliers : un discours structuré et cohérent, un pouvoir financier solide, une intelligence économique performante, une influence diplomatique croissante et un réseau d’instituts Confucius extensible.
1. Un discours structuré et cohérent
De janvier 2004 à février 2009, Hu Jintao s’est rendu dans 18 pays d’Afrique : Égypte, Gabon et Algérie en janvier 2004 ; Maroc, Nigeria et Kenya en avril 2006 ; Cameroun, Liberia, Soudan, Zambie, Namibie, Afrique du Sud, Mozambique et les Seychelles en février 2007 ; Mali, Sénégal, Tanzanie et Maurice en février 2009. En moyenne, le chef de l’Etat chinois a visité l’Afrique une fois, chaque trimestre, entre 2004 et 2009.
L’analyse des discours officiels prononcés lors de ces 18 voyages donne l’impression qu’ils sont sortis d’un moule. Leur structure, 30 000 signes en moyenne par discours, révèle quasi systématiquement : 1) le rappel de l’histoire des relations sino-africaines, 2) les réalisations chinoises en Afrique, 3) les promesses de la Chine à l’Afrique, et 4) l’assurance d’une collaboration fraternelle, respectueuse, durable et « gagnant-gagnant ».
Cette rhétorique est répercutée avec une saisissante cohérence par les officiels, les patrons des grandes entreprises d’Etat et les diplomates chinois en poste ou en visite sur le sol africain. Pour la plupart des leaders politiques africains, ce discours récurrent, solidaire et respectueux est le premier pilier de la réussite chinoise sur le continent noir. Considéré comme le « grand frère asiatique », Pékin apparaît ainsi comme une puissance humble et solide tout à la fois.
2. Une surface financière solide .
Forte de 2400 milliards de réserve de change à la fin 2009 et de 5200 milliards de dollars de PIB en 2010, la Chine est devenue la deuxième puissance économique mondiale devant le Japon. Au cours des dix dernières années, son économie a crû de 10%. L’empire du Milieu dispose désormais d’une surface financière solide pour acquérir du renseignement économique, des technologies de pointe, des entreprises étrangères et les ressources naturelles qui concourent à sa puissance.
En 2000, la Chine a effacé une ardoise de 1,5 milliard de dollars de dette au profit de pays africains. Deux ans plus tard, elle leur a accordé 1,8 milliard de dollars d’aide au développement. En 2003, elle a de nouveau annulé une dette de 750 millions de dollars. En 2006, elle a signé avec les pays africains des accords commerciaux de l’ordre de 60 milliards de dollars.
Entre 2000 et 2005, les flux d’investissements directs chinois (IDE) en Afrique ont atteint 30 milliards de dollars, alors qu’ils n’étaient que de 490 millions de dollars fin 2003. Lors du sommet Chine-Afrique de novembre 2006, Pékin s’était fixé comme objectif de doubler le commerce bilatéral avec l’Afrique pour atteindre les 100 milliards de dollars avant 2010. Cet objectif a été dépassé en 2008 avec des échanges d’un montant de 106,8 milliards. Alors que l’Europe et les États-Unis serraient les cordons de la bourse, Pékin a tenu sa promesse de ne pas abandonner l’Afrique malgré la crise économique et financière internationale.
3. Une intelligence économique performante
La puissance chinoise serait-elle aussi présente dans l’économie africaine sans des systèmes performants de collecte, de traitement et de partage des informations relatives aux besoins des décideurs africains, à la concurrence, à la demande locale et aux appels d’offre ? Pas sûr. L’intelligence économique est le pilier sur lequel reposent les grandes victoires chinoises autour des contrats de défense, d’aéronautique, du BTP et d’exploitation des ressources rares en Afrique.
D’après He Wenping, directeur des études africaines à l’Académie chinoise des sciences sociales de Pékin, « le gouvernement chinois encourage les entreprises à investir en Afrique dans des secteurs aussi variés que le commerce, l’agriculture, la construction, les mines, le tourisme ». Cet encouragement du gouvernement réside aussi bien dans le soutien financier (à travers le Fonds de développement Chine-Afrique notamment) que dans le renseignement économique. Au premier semestre 2010, l’Afrique abritait déjà un millier d’entreprises chinoises ; estimation en constante augmentation.
Pour ce qui est de l’intelligence stratégique formelle, le Parti communiste chinois (PCC) continue de maîtriser et d’accompagner les grandes entreprises publiques telles que la China Petrochemical Corporation ou la China National Machinery and Equipment Corporation (CNMEC). Dans l’opérationnel, le PCC a de moins en moins prise sur les activités des entreprises privées. Ces dernières trouvent leur salut dans des dispositifs relativement légers, mais très efficaces d’intelligence économique « informelle » mettant en réseau des opérateurs ayant en commun leur région d’origine (en Chine) et leur secteur d’activités (en Afrique). Lorsqu’ils sont identifiés et jugés « loyaux », ces dispositifs bénéficient du concours des services diplomatiques chinois en matière de renseignement économique et d’influence.
4. Une influence diplomatique croissante
Contrairement à ce que peuvent laisser croire certains chroniqueurs occidentaux, l’attrait de la Chine pour l’Afrique n’est pas récent. Loin s’en faut. Du 18 au 24 avril 1955, le Premier ministre chinois Zhou Enlai profita de la Conférence de Bandung (qui marquait l’entrée du tiers-monde sur la scène internationale et posait les bases du mouvement des non-alignés) pour rencontrer les dirigeants égyptiens, éthiopiens, ghanéens, libériens, libyens et soudanais. A l’époque, les motivations chinoises étaient surtout politiques et idéologiques ; situation visible à travers le soutien de Pékin aux luttes anticoloniales et la récupération de son siège de membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU en 1971. Avec la disparition de Mao, la diplomatie chinoise se fit quelque peu discrète, avant de reprendre des couleurs. A la fin du quatrième trimestre 2010, la Chine était en relation avec la quasi-totalité des pays de l’Union africaine, à l’exception de la Gambie, du Swaziland, du Burkina Faso et de São Tomé & Principe, quatre pays qui continuent de reconnaître Taïwan, contre dix en 1993.
Depuis Bandung, la Chine a donc conservé un intérêt marqué pour l’Afrique, intérêt qui s’est toutefois considérablement accéléré au cours de la décennie qui s’achève, faisant de la diplomatie économique un pilier de la puissance chinoise en Afrique. En témoigne la mise en place d’un Forum bilatéral de discussion sino-africain (FOCSA) dont la quatrième session s’est tenue en Égypte en novembre 2009. Depuis quelques mois, Pékin travaille à la construction de six zones de coopération économique et commerciale en Égypte, en Éthiopie, au Nigeria, à Maurice et en Zambie. Première du genre, la zone de coopération avec la Zambie a déjà attiré 600 millions de dollars d’investissements et généré 6000 emplois locaux.
Dans le domaine de la défense, de nombreux accords ont été signés avec des pays tels que l’Angola, le Botswana, le Congo, Érythrée, la Namibie, le Soudan et le Zimbabwe. Depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, la Chine a nettement renforcé sa coopération militaire avec l’Afrique. Elle s’est ouvert de juteux marchés dans la vente de matériels militaires en Angola, au Burkina Faso, en Centrafrique, au Liberia, en RDC, au Sénégal et au Tchad, notamment pour l’artillerie légère, des véhicules blindés, des uniformes et du matériel de communication. Elle a décroché des contrats de fourniture d’hélicoptères en Angola, au Ghana et au Mali ; des avions d’entraînement K8 en Namibie, au Soudan et au Zimbabwe, etc. La plupart de ces marchés ont été conquis par les deux géants de l’armement chinois que sont la China North Industry Corporation et Polytech Industries.
5. Un réseau Confucius extensible
Officiellement, les instituts Confucius ont pour objectif de promouvoir la langue et la culture chinoises, « d’augmenter le nombre d’étudiants, de les rendre compétitifs sur le plan mondial et surtout en Chine, de sorte qu’ils puissent facilement s’adapter au système s’ils venaient à y suivre des études ». Au sens du soft power, le réseau des instituts Confucius constitue pourtant un pilier stratégique dans le dispositif chinois de conquête du monde par les idées.
En novembre 2009, alors que leur nombre était de 282 dans le monde, Pékin a annoncé leur extension en Afrique à partir de 2010. Depuis 2005, chaque déplacement d’un membre de l’exécutif chinois en Afrique donne lieu à la visite d’un institut Confucius ou d’un établissement dispensant l’enseignement du chinois. Exemples : le 29 avril 2006, le président Hu Jintao, en visite au Kenya, a rencontré les étudiants et le personnel de l’institut Confucius de Nairobi ; le 20 juin 2006, c’était au tour du Premier ministre Wen Jiabao, en visite au Congo, de saluer des élèves et enseignants apprenant le chinois dans un lycée de Brazzaville ; le 24 mars 2010, Jia Qinglin, le numéro 4 chinois, en déplacement officiel au Cameroun, a sacrifié au même rituel en visitant l’institut Confucius de Yaoundé.
Dans une stratégie de puissance douce qui passe par divers mécanismes de coopération, la construction de stades, d’hôpitaux et d’écoles pour les plus pauvres, les instituts Confucius sont un poste avancé de l’intelligence culturelle chinoise hors des frontières nationales. Ils jouent un rôle de premier plan en matière de séduction et d’influence des élites étrangères.
Quelles conséquences tirent les Africains ?
A ce jour, l’enquête la plus sérieuse sur la perception africaine de la présence chinoise en Afrique reste celle de l’institut Pew, Malaise global avec les grandes puissances, réalisée dans dix pays africains (Afrique du Sud, Côte d’Ivoire, Ethiopie, Ghana, Kenya, Mali, Nigeria, Ouganda, Sénégal et Tanzanie) et publiée en juin 2007. D’après les conclusions de cette étude, « la puissance économique montante de la Chine a un rôle positif dans les pays des personnes interrogées, notamment dans le monde en voie de développement ».
En retour, la Chine attire de plus en plus de chercheurs, d’étudiants, de réfugiés économiques, de créateurs et d’investisseurs africains. D’après le livre blanc sur la coopération économique et commerciale sino-africaine publié le 23 décembre 2010, les IDE africains en Chine ont atteint 9,93 milliards de dollars au dernier trimestre 2009, « couvrant notamment les domaines de la pétrochimie, de l’outillage, de l’électronique, du transport et des télécommunications ».
Ainsi donc, des politiques aux médias, des opérateurs économiques aux « débrouillards », des hommes de science aux artistes, l’Afrique se tourne progressivement vers l’empire du Milieu. Spectaculaire par son ampleur et sa rapidité, ce changement de paradigme se fait au grand bonheur des stratèges chinois dont la mission africaine, en plus de l’exploitation des ressources naturelles, est de faire de ce continent la vitrine de leur puissance en croissance.
Guy Gweth
CEDS
Consultant en intelligence économique chez Knowdys
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