Les chrétiens sont en danger et ce danger ne provient pas d’une menace extérieure, mais vient de l’intérieur même de leur communauté.
Ce danger est le résultat d’une politique, motivée par des intérêts de pouvoir, qui vise à les réduire du statut de communauté appelée, comme l’indique l’Exhortation apostolique, à construire avec les autres communautés un avenir de convivialité et de collaboration, au statut de minorité uniquement préoccupée par ses « droits » propres, à la recherche d’un « chef » providentiel ou d’une puissance extérieure pour assurer sa protection. Cette politique a conduit les chrétiens à se retrouver aujourd’hui, sans même l’avoir choisi, placés sous la « protection » de la Syrie et de l’Iran.
Cette politique est dangereuse car elle expose les chrétiens au risque d’être assimilés à la dernière des dictatures arabes et de se retrouver ainsi cautionnant une répression qui fait aujourd’hui l’objet d’une condamnation quasi unanime dans le monde, et cela sous le prétexte fallacieux que la chute de cette dictature «laïque», particulièrement féroce et sanguinaire, dont ils ont par ailleurs payé le prix au cours des quatre dernières décennies, pourrait entraîner l’arrivée au pouvoir d’extrémistes religieux.
Cette politique est également dangereuse car elle les expose au risque de se retrouver en marge de l’histoire qui s’écrit aujourd’hui dans le monde arabe et de ne pas avoir de rôle dans ce nouveau monde qui commence à émerger avec le « printemps arabe », et cela au moment où la défense de la dignité humaine, qui est au fondement de nos valeurs chrétiennes, est devenue le thème principal de cette révolution qui a rendu à l’individu arabe, longtemps réduit au groupe, son autonomie, c’est-à-dire sa capacité à être l’artisan de sa propre histoire et à participer à définir les choix politiques qui l’engagent.
Plus grave encore, cette politique ôte aux chrétiens un double mérite : le mérite d’avoir été les premiers dans ce monde arabe à se dresser, au nom de la liberté et de la justice, contre les dictatures au pouvoir et d’avoir, avec le « printemps de Beyrouth », de 2005 donné le coup d’envoi au « printemps arabe » et le mérite également d’avoir été les premiers en Orient, avec le synode patriarcal maronite de 2006, à réclamer l’établissement d’un État civil.
Cette politique que résume le projet d’ « alliance des minorités contre la majorité arabo-musulmane » touche à sa fin avec la chute annoncée du régime syrien. Les tenants de ce projet, aujourd’hui au pouvoir, tentent désespérément de le maintenir en vie en exacerbant les tensions communautaires et en créant un climat de guerre civile qui justifierait la mobilisation communautaire à laquelle ils continuent d’œuvrer.
Comment mettre un terme à cette effroyable régression qui hypothèque notre avenir aussi bien au Liban que dans le monde arabe ?
Il nous faut pour cela opérer une véritable révolution morale et renouer avec les valeurs qui fondent notre spécificité dans ce monde arabe à majorité musulmane en revenant à l’essence du message évangélique qui est d’apprendre aux hommes à vivre ensemble et en paix, et en rejetant toute instrumentalisation de la religion visant à créer des identités closes qui très vite se transforment, comme l’a montré l’expérience de la guerre, en « identités meurtrières ».
Il nous faut aussi avoir le courage de faire le travail de « purification de la mémoire » auquel nous a conviés l’Exhortation apostolique dès 1997 et reconnaître notre responsabilité commune, chrétiens et musulmans, dans la guerre qui a ravagé notre pays, ayant tous à un moment ou à un autre eu recours aux armes et recherché dans les guerres que nous nous sommes livrées l’aide de forces extérieures, renonçant de ce fait à notre indépendance et à notre souveraineté.
Il nous faut également faire preuve d’intelligence pour comprendre que la richesse d’une communauté ne se mesure pas à son poids démographique, à sa représentation au sein de l’appareil d’État ou à la puissance économique dont elle dispose, mais au message dont elle est porteuse dans le monde au sein duquel elle évolue. La place privilégiée que les chrétiens du Machrek ont occupée dans le monde arabe provient essentiellement du rôle qu’ils ont joué à partir du XIXe siècle dans la Nahda arabe. Ils la doivent à Nassif Yazigi, à Boutros Boustany, à Gebran Khalil Gebran et beaucoup d’autres. Ils la doivent également à leurs écoles, leurs universités, leurs imprimeries et leurs journaux.
Il nous faut en fin réhabiliter la politique réduite aujourd’hui à n’être qu’une simple lutte pour le pouvoir où tous les coups sont permis et où les choix politiques n’ont plus pour finalité que de permettre à ceux qui sont engagés dans cette lutte démente de marquer des points face à leurs adversaires. Pour cela, il faut redonner la priorité à l’individu sur le groupe et mettre un terme à cette « peur de l’autre » utilisée dans les luttes pour le pouvoir en donnant à l’État, et à l’État seul, la tâche d’assurer la protection de chacun et de tous.
C’est en mettant un terme à cette régression communautaire, qui a remis en question notre rôle historique au Liban et dans la région, que nous pourrons redéfinir le message chrétien et apporter notre contribution propre à ce changement historique qu’annonce le printemps arabe.
Ce message est fondamentalement un message de paix :
• un message de paix en direction de tous les Libanais pour faire de la chute annoncée du régime syrien, qui porte une lourde responsabilité dans les guerres qui ont ensanglanté le Liban, le point de départ d’une paix permanente ;
• un message de paix en direction des chrétiens pour tourner la page des querelles intestines et œuvrer à l’union entre nos Églises pour former cette « Église des Arabes » dont a parlé le P. Youakim Moubarak, qui pourrait collaborer avec l’islam à la rénovation de l’Orient chrétien et musulman ;
• un message de paix en direction des sunnites et des chiites pour mettre un terme à un conflit qui hypothèque notre avenir à tous et qui menace le monde arabe d’une véritable guerre civile. C’est notre responsabilité en tant que chrétiens d’œuvrer à rétablir la paix entre les différentes composantes de l’islam et de réfléchir avec elles sur les moyens de promouvoir dans le monde arabe une « voie arabe » vers la démocratie ;
• un message de paix en direction de nos frères syriens qui luttent aujourd’hui pour leur dignité et leur liberté pour réfléchir ensemble à un nouveau Machrek arabe, un « Machrek du vivre-ensemble » entre les peuples qui le constituent et dont la diversité religieuse et ethnique doit être une source de richesse pour chacun et pour tous, un Machrek ouvert sur le monde, capable de renouer avec la tradition historique de la Renaissance arabe et de constituer un pôle de renouvellement pour l’ensemble du monde arabe.
Sur base de ce qui précède, et en préparation à la visite que doit effectuer le pape Benoît XVI au Liban en septembre prochain, il devient impératif de travailler à une charte chrétienne qui jetterait les bases d’un « printemps des chrétiens arabes » et définirait leur rôle dans la promotion de la paix et du vivre-ensemble dans cette période de changement historique que connaît le monde arabe.
Samir FRANGIÉ,
ancien député
source: OLJ /24/7/2012
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