mardi 29 mai 2012
Le profiling de Hollande et l’impact sur l’Afrique
Durant de longues années, le profiling de dirigeants est resté l’apanage des services de
renseignement d’Etat. Exceptionnellement, pour Les Afriques, les analystes de Knowdys dévoilent
le mini profiling de François Hollande et Nicolas Sarkozy, les deux candidats arrivés au second tour
de l’élection présidentielle française. Objectif : anticiper les futures relations de la France avec
l’Afrique.
Délivrer l’authentique profiling de personnalités politiques est un exercice délicat. Car les politiques
sont semblables à des acteurs de cinéma. Ils jouent un rôle. A force de calculs, d’entrainement et
de corrections, les deux candidats du second tour de la présidentielle française ont « travaillé »
divers aspects de leur personnalité pour atteindre leurs objectifs. Physiquement : la voix, le poids,
la gestuelle, etc. Mentalement : la persuasion, le courage, la pugnacité, etc. Le décryptage qui suit
ignore volontairement l’entourage des candidats pour se consacrer uniquement aux principaux traits
de leur personnalité susceptibles d’avoir un impact sur les futures relations franco-africaines.
Hollande sera directif en cas de crise portant atteinte aux intérêts français en Afrique
François Gérard Georges Hollande est né à Rouen le 12 août 1954 à minuit dix d’un père médecin
ORL et d’une mère assistante sociale. Son père était catholique et proche de l’extrême droite alors
que sa mère était de gauche. De cette situation familiale, le candidat socialiste a tiré une capacité
d’adaptation absolument remarquable qui plaira certainement aux dirigeants africains, s’il est élu.
Les profilers de Knowdys précisent cependant qu’en cas de crise touchant les intérêts français en
Afrique, il faudra s’attendre à un Hollande directif, voire autoritaire, qui voudra dicter ses volontés à
ses partenaires africains en y mettant les formes, certes, mais en tenant fermement à être suivi.
Le rapport de Sarkozy à l’Afrique n’est pas étranger aux humiliations qu’il a vécues
Nicolas Paul Stéphane Sarkozy de Nagy-Bocsa est né le 28 janvier 1955 à Paris. Il a connu une enfance
plutôt aisée, mais douloureuse, car marquée par l’insécurité et l’humiliation. L’insécurité de Sarkozy
vient du divorce de ses parents. Son père parti, sa mère lui manque car elle travaille beaucoup.
Depuis cette époque, il a peur qu’on l’abandonne. Son humiliation vient de l’écrasement qu’il connait
face à ses camarades de classe qu’ils trouvent plus riches et « branchés » que lui. Tout petit, il veut
devenir président pour compenser ses traumatismes. Les profilers de Knowdys estiment - fortement -
que son rapport à l’Afrique n’est pas étranger aux humiliations qu’il a vécues dans son enfance.
C’est un « lion pacifique, superbe et généreux ». Mais attention ! Pour ce pragmatique, les individus
sont des pions sur un échiquier qu’il manœuvre pour atteindre ses objectifs. Les profilers de knowdys
notent que cet être passionné a besoin d’être rassuré en permanence, de se prouver à lui-même
et aux autres qu’il est puissant malgré les apparences... On peut prendre son caractère introverti
et réservé pour de la fierté. A tort. Il est surtout prudent et pudique. L’une de ses plus importantes
failles est qu’il peut être pris par les sentiments. S’il entre à l’Elysée, les dirigeants africains
creuseront naturellement ce sillon, sachant que Hollande agit avec sincérité et idéalisme.
C’est un être émotif qui masque sa sensibilité sous des dehors froids. Il est traversé par des épisodes
de paranoïa, et ses accès de colère sont aussi surprenants que terrifiants. Paradoxalement, c’est un
cérébral qui réagit aux sentiments. Les profilers de Knowdys notent qu’il est toujours en avance sur
son temps, plus intéressé par les projets que par leur réalisation. Il a une aversion marquée pour les
contraintes et les sentiers battus d’où ses va-et-vient avec la « Françafrique ». C’est un travailleur
acharné, guetté par le surmenage. Durant les cinq dernières années, les insomnies lui ont permis de
s’informer sur une somme incroyable de dossiers, à la surprise de ses interlocuteurs.
Son score de domination est extrêmement bas par rapport à la moyenne des présidentiables : 7
contre 21 pour son adversaire de droite. Ce détail est une excellente nouvelle pour les dirigeants
africains francophones qui rêvent de traiter enfin avec un président français d’égal à égal, de manière
consensuelle et pacifique. Le candidat socialiste a besoin de se faire aimer et fera tout pour plaire
à ses homologues africains. Mais attention, l’extraverti qu’est l’ancien maire de Tulle est un fin
stratège qui, sous son aspect sympathique, voire naïf, cache une détermination sans faille. S’il est élu,
les relations entre l’Afrique et la France pourraient connaître un remake du discours de la Baule.
L’instinct de domination est très présent chez le candidat sortant, ce qui gêne profondément les
dirigeants africains dont beaucoup ont souvent le sentiment de recevoir des ordres. Lorsqu’il en a les
moyens, Nicolas Sarkozy aime intimider son interlocuteur, « marcher » sur l’adversaire, pour prouver
sa supériorité. La perception quelque peu négative qu’il a de lui-même et l’instabilité émotionnelle
qui le caractérise le poussent systématiquement à monter au filet pour renvoyer tout ce qui s’oppose
à lui. S’il est réélu, de nombreux dirigeants d’Afrique francophone continueront à faire profil bas.
Toujours bien campé sur ses deux jambes, François Hollande renvoie l’image d’un être sympathique
et authentique. Les analystes de Knowdys traduisent cette posture par : « regardez, je n’ai rien à
dissimuler… » L’habitude qu’il a de garder les doigts écartés renvoie l’image d’un homme qui a le
sens de la mesure, de la nuance et du compromis. Ses lunettes, qu’il a souvent tendance à encadrer
des deux mains, lui servent à la fois de rempart et de longue vue. Rempart face aux concurrents de
la France en Afrique (Chine, Etats-Unis, Inde et Brésil en particulier) ; longue vue pour explorer une
nouvelle relation avec ce continent, dépouillée des « miasmes de la Françafrique», selon ses mots.
Debout, Nicolas Sarkozy a souvent eu l’index droit encré dans sa main gauche au cours de la dernière
année de son mandat. Or ce doigt est le siège symbolique de la maîtrise de soi. Répété de manière
inconsciente, l’ancrage de l’index droit trahit les difficultés du président sortant à s’affirmer dans
l’Hexagone comme à l’international. Le geste de ses mains jointes, touchant ses lèvres, est interprété
par les analystes de Knowdys comme un appel à l’aide : « mes amis, aidez-moi, j’ai besoin de vous ! »
finit-il par dire. Sa main ouverte, paume en avant, est celle d’un séducteur de masse. Ses doigts collés
trahissent néanmoins une politique rigide et faite de préjugés vis-à-vis de l’Afrique notamment.
Bien que François Hollande ait les faveurs de plusieurs dirigeants africains francophones, il n’est pas
certain qu’il fasse totalement leurs affaires s’il est élu. C’est un homme doté d’un grand sens moral.
Attachant, bien que peu démonstratif, il choisit ses amis et choisira ceux de la France en fonction de
ses critères, s’il est élu. Les analystes de Knowdys relèvent que Hollande est un être patient, voire
lent, mais coriace et persévérant. Si les Français lui en donnent mandat, il saura défendre l’Afrique
partout où il sera question d’équilibre dans les relations entre ce continent et le reste du monde.
Comme de nombreux dirigeants africains, il n’est pas dépourvu d’ésotérisme et de mystique.
Sous ses airs charmeur et communicateur, Sarkozy est un être profondément inquiet. Dynamique
et volontaire, il est fortement impliqué dans ses ambitions. Son profil est taillé pour les professions
libérales et avant-gardistes, d’où les écarts de ses premiers mois de présidence. Les analystes de
knowdys soulignent qu’il est extrêmement mal à l’aise dans le rôle d’exécutant. Il a toujours voulu
commander. C’est un « winner » qui croit à sa bonne étoile. Son caractère critique, voire caustique,
déplaît à de nombreux dirigeants africains dont la plupart le trouvent plutôt « agressif ». Même s’il
peine à convaincre les Africains depuis Dakar, Sarkozy garde une remarquable force de persuasion.
Malgré leurs différences de caractères, de talents et de styles, François Hollande et Nicolas Sarkozy
sont incontestablement deux hommes d’Etat de grande qualité. Deux acteurs dont les jeux de rôle
sur la scène politique ont quelques dénominateurs communs. Au sujet de l’Afrique notamment, ils
partagent deux idées fortes. Devant l’exacerbation de la concurrence dans l’ordre international, l’un
et l’autre sont profondément habités du sentiment de devoir défendre les intérêts de la France en
Afrique quel-que-soit-le-prix-à-payer. A l’instar de l’Américain Barack Obama, François Hollande et
Nicolas Sarkozy sont aussi intimement persuadés que l’Afrique sera ce que les Africains en feront.
Au cours des 10 dernières années, le profiling s’est considérablement développé pour investir la
sphère de l’entreprise. Le recours à cette expertise permet aux décideurs de haut niveau d’identifier
les véritables forces et faiblesses de leurs alliés ou de leurs concurrents ; et ainsi de préparer
efficacement leurs opérations (négociations, fusions, acquisitions, etc.) en anticipant les réactions de
leur(s) cible(s). Parce que le profiling innovant de Knowdys repose sur le principe que « le dirigeant
est un être en situation », l’agence va au-delà des portraits statiques. Il cartographie l’environnement
des décideurs, mesure l’épaisseur de leurs hommes d’influence, et scénarise les stress tests auxquels
ils pourraient être confrontés, de manière à prévoir leurs attitudes face aux crises possibles.
Guy Gweth est expert-consultant en intelligence économique et stratégique chez Knowdys. Il est
diplômé de l’Ecole de guerre économique de Paris, du Centre d’études diplomatiques et stratégiques
de Paris, et de l’Institut international de communication de Paris.
Un spécialiste russe de la lutte antivirus détecte une Cyber-arme visant l'Iran
Selon Kaspersky, le virus Flame dépasse de loin tous les autres virus déjà connus, et est "vingt fois plus important que Stuxnet". Une nouvelle étape dans la cyberguerre. Photo Reuters
PIRATAGE Parmi les pays également touchés, le Liban.
"La géographie des cibles (certains Etats sont au Moyen-Orient) ainsi que la sophistication de la menace ne laissent aucun doute sur le fait que c'est un Etat qui a sponsorisé la recherche", a ajouté Kaspersky Lab.
Le spécialiste russe de la lutte antivirus Kaspersky Lab a identifié une cyber-arme utilisée contre des pays tels que l'Iran, probablement au profit de l'Occident et d'Israël, un virus d'une sophistication telle qu'elle suppose le concours d'un Etat.
Le logiciel malveillant, connu sous le nom de Flame, "est actuellement utilisé comme une cyber-arme contre une série de pays" et à des fins de "cyber-espionnage", a indiqué la société russe, l'un des premiers fabricants mondiaux d'anti-virus, dans un communiqué disponible mardi sur son site.
Le logiciel malveillant, connu sous le nom de Flame, "est actuellement utilisé comme une cyber-arme contre une série de pays" et à des fins de "cyber-espionnage", a indiqué la société russe, l'un des premiers fabricants mondiaux d'anti-virus, dans un communiqué disponible mardi sur son site.
"La géographie des cibles (certains Etats sont au Moyen-Orient) ainsi que la sophistication de la menace ne laissent aucun doute sur le fait que c'est un Etat qui a sponsorisé la recherche", a ajouté Kaspersky Lab.
Parmi les pays les plus touchés : l'Iran, Israël et la Palestine, le Soudan, la Syrie, le Liban, l'Arabie saoudite et l'Egypte, selon le spécialiste russe.
Ce virus, détecté dans le cadre d'une enquête lancée par l'Union internationale de télécommunications (ITU), a un potentiel d'infiltration inégalé, étant capable d'utiliser en même temps une multitude de moyens.
"Une fois qu'un système est infecté, Flame commence une série complexe d'opérations", telles que des captures d'écran, des enregistrements via un micro des conversations audio, ou encore l'usage de Bluetooth pour identifier les appareils aux alentours, détaille Kaspersky Lab.
Le virus est "un gigantesque ensemble de modules" qui se déploient progressivement dans les systèmes infectés.
"Les dates de création des fichiers sont 1992, 1994, 1995 etc, mais il est clair qu'elles sont fausses", ajoute Kaspersky, qui estime que le virus a été créé "pas avant 2010".
"Les empreintes laissées par ce genre d'attaques ciblées sont extrêmement faibles", a expliqué à l'AFP Laurent Heslault, directeur des stratégies de sécurité chez Symantec, éditeur du logiciel Norton. Elles sont menées par "des groupes organisés, financés, qui s'attendent à ce qu'on remonte la piste. Et donc ils ont tout fait pour la brouiller".
Selon des médias occidentaux, Flame aurait été utilisé pour attaquer le ministère iranien du Pétrole et le principal terminal pétrolier de ce pays.
L'Iran a été la cible depuis deux ans de plusieurs attaques informatiques que les dirigeants iraniens ont attribuées aux Etats-Unis et à Israël, les deux ennemis déclarés du régime de Téhéran. Le Centre de coordination iranien pour la lutte contre les attaques informatiques a d'ailleurs indiqué mardi avoir réussi à produire un anti-virus contre Flame. Fin avril, un haut responsable iranien avait affirmé que le ministère du Pétrole était parvenu à stopper un virus qui avait frappé une partie de son réseau informatique.
En 2010, un autre virus avait été découvert, Stuxnet, qui visait à retarder le programme nucléaire iranien en attaquant les centrifugeuses. Selon des médias, il aurait pu être développé grâce à la collaboration de services de renseignement israéliens et américains. Téhéran avait ensuite dû se défendre contre un autre virus baptisé "Duqu".
Mardi, le ministre israélien des Affaires stratégiques Moshé Yaalon a justifié le recours à de tels virus afin de contrer la menace nucléaire iranienne, alimentant les spéculations sur une possible implication de son pays dans Flame. "Il est justifié, pour quiconque considère la menace iranienne comme significative, de prendre différentes mesures, y compris celle-là, pour la stopper", a estimé M. Yaalon à la radio militaire. "Israël est en pointe dans les nouvelles technologies et ces outils nous offrent toutes sortes de possibilités", a ajouté M. Yaalon.
Selon Kaspersky, Flame dépasse de loin tous les autres virus déjà connus, et est "vingt fois plus important que Stuxnet". Cela marque "une nouvelle étape" dans la cyberguerre, a déclaré Evgueni Kaspersky, directeur général.
source OLJdu 29 mai2012
samedi 5 mai 2012
L'avenir du Liban et les obstacles qui entravent l’édification d’un État de droit
Il est bon de temps à autre de prendre une pause avec la politique politicienne et de tenter une réflexion sur l’avenir, sur les fondements et sur l’identité libanaise. L’ONG britannique « Conciliation Ressources », qui a consacré un atelier de travail à l’avenir du Liban et aux obstacles qui entravent l’édification d’un État de droit, a tenté de se placer au-delà des contingences quotidiennes pour solliciter une interview de la part de deux personnalités phares du 14 et du 8 Mars, Samir Frangié et Ali Fayad. Voici le texte des entrevues réalisées dans une optique constructive pour tenter d’exposer les points de vue afin de trouver des points communs et de mettre le doigt sur les divergences.
Samir Frangié : Le projet iranien a échoué, mais l’autre n’a pas gagné...
Question. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi le Liban vit depuis des décennies au bord du gouffre ? Les raisons sont-elles structurelles, intrinsèques aux Libanais, ou relatives aux circonstances externes ?
Réponse. Il est certain que les facteurs régionaux sont très importants. Depuis l’émergence de l’État d’Israël, qui a entraîné la formation de dictatures militaires et aiguisé la question des minorités dans la région, la stabilité régionale, et au Liban en particulier, a été ébranlée. Mais le facteur principal reste l’incapacité des Libanais à jeter les bases d’un État autonome par rapport à la société. C’est la tare principale. Depuis l’adoption du pacte national en 43 jusqu’à nos jours, celui-ci a été perçu comme un accord entre les communautés pour se partager le pouvoir. Alors qu’à mon avis, il était bien plus que cela. Il est venu délivrer à ceux qui voulaient une union avec la Syrie et à ceux qui voulaient un retour au mandat français un message principal : nous voulons vivre ensemble. La notion de « vivre ensemble » provient d’un changement important qui s’était produit au cours des 20 années précédentes et qui consistait en l’émergence d’une bourgeoisie islamo-chrétienne qui avait des intérêts et se voyait un avenir commun. Il y a eu ensuite l’expérience de Fouad Chéhab qui a tenté de créer un État autonome. Mais en 1970, en renonçant à présenter sa candidature pour un nouveau mandat, il a pratiquement sonné le glas de l’État, en déclarant que personne ne veut entreprendre des réformes. Entre-temps, il y avait eu la guerre israélo-arabe de 67 et l’arrivée des Palestiniens au Liban, à laquelle a correspondu la création du Helf, la première alliance à base communautaire. La polarisation communautaire remonte à cette période. Et les modérés des deux camps ont été balayés, les sunnites ont été vers l’OLP et les chrétiens vers le Front libanais. Ce fut ensuite la guerre au cours de laquelle chaque camp a tenté de mettre en application son projet extrémiste, en ayant recours à l’étranger. Les chrétiens ont ainsi commencé par faire appel à la Syrie puis à Israël et les musulmans ont commencé par appeler à l’aide l’OLP puis les Syriens, etc. Cette situation a encouragé les parties externes à intervenir dans les affaires libanaises. La guerre islamo-chrétienne s’est ensuite transformée en guerre dans chaque camp et ce fut l’accord de Taëf. Cet accord repose sur deux principes : il est impossible de continuer à vivre en état de guerre et il est impossible pour chaque camp de vivre son mode communautaire propre. La différence entre le pacte de 43 et Taëf c’est que ce dernier n’était pas porté par des forces politiques. Il était le résultat de l’échec des autres projets et il avait été essentiellement concocté par trois personnes : Rafic Hariri, Hussein Husseini et le patriarche maronite Sfeir. Mais la culture politique restait communautaire. De plus, la Syrie a aussi poussé vers son application selon ses intérêts immédiats, le transformant en une sorte d’accord tripartite (accord entre Amal, le PSP et les Forces libanaises, signé en Syrie en 1984). Enfin, l’accord de Taëf a certes mis fin à la guerre, mais il n’y a eu aucun travail sur la mémoire et aucun dialogue entre les différentes parties.
Aujourd’hui, les Syriens ne sont plus là. Or le Liban est plus polarisé que jamais et le dialogue pratiquement rompu entre les deux camps rivaux, alors que l’État est paralysé. Que faire pour en sortir ?
L’accord de Taëf avait mis au point un mécanisme : l’établissement d’un État où les droits sont accordés aux citoyens et les garanties aux communautés. Il y avait donc un Sénat pour les communautés et un Parlement pour les citoyens. Il fallait ainsi nettoyer l’administration, qui est la clé du système communautaire en permettant (via le clientélisme) aux communautés d’infester l’État, et adopter une loi électorale sur la base des mohafazats, qui favorise un vote islamo-chrétien et exclut les radicaux. Aujourd’hui, l’intérêt communautaire prime l’intérêt général, mais en même temps, une société civile a fait son apparition et c’est sur elle qu’il faut miser. Le 14 mars 2005, les gens sont spontanément descendus dans la rue au-delà de tous les pronostics des partis qui avaient appelé à la manifestation. C’est sur cette force-là qu’il faut miser et elle est dans tous les camps. Il faut entamer un dialogue.
Comment réussir un dialogue alors que les visions du Liban et de la région sont aussi radicalement opposées?
Nous vivons une fin de période. Le printemps arabe ne va pas dans le sens du projet iranien, qui visait à représenter le monde musulman dans l’équation mondiale. Par conséquent, il va entraîner la fin du projet du Hezbollah. Mais cela ne signifie pas que l’autre projet a gagné. C’est une situation nouvelle qui est en train d’émerger et il faut commencer par des points qui rapprochent, comme la campagne contre les violences, en faveur de l’écologie, ou pour l’abolition du confessionnalisme.
À supposer que ce soit vrai, la fin du Hezbollah peut-elle se faire sans conflits sanglants ?
C’est notre responsabilité. C’est ce qu’a essayé de faire Saad Hariri en appelant à un dialogue en disant au Hezbollah : votre projet est en train d’échouer, allons tous vers la construction d’un État. Si nous parvenons à éviter la guerre entre sunnites et chiites, nous aurons surmonté cette période et nous deviendrons un modèle pour la région. Le printemps arabe a porté les sunnites au pouvoir, ils doivent maintenant faire une déclaration d’intentions apaisante. Le grand enjeu est de faire des courants islamistes des démocraties musulmanes sur le modèle de la démocratie chrétienne en Europe et de dire que le radicalisme a fait son temps.
Les partis communautaires actuels ont-ils intérêt à le faire ?
Si on continue ainsi, on tourne dans un cercle vicieux. La proposition de Saad Hariri doit donc se traduire concrètement par un projet de dialogue sérieux initié soit par le président de la République, soit par la société civile. Une fois lancée, la dynamique ne peut plus être arrêtée.
Et Israël dans tout cela ?
Le printemps arabe lui a porté un coup terrible. Israël n’a plus le monopole de la démocratie. Le débat au sein d’Israël a perdu de sa profondeur et ce pays abrite désormais deux mondes aux antipodes l’un de l’autre, Jérusalem et Tel-Aviv. Je ne sais pas s’il peut continuer comme cela.
Ali Fayad : La résistance fait désormais partie de l’identité libanaise
Question. Pourquoi, selon vous, le Liban est-il toujours au bord du gouffre et quelle est votre part de responsabilité dans cette instabilité ?
Réponse. Il est certain que le facteur régional a une grande influence sur la situation libanaise, ce pays se trouvant sur une ligne de fracture. Mais à la différence d’autres régimes, le Liban ne parvient pas à absorber les contradictions ni à les organiser dans un cadre constitutionnel. De plus, le régime libanais n’a pas pris en considération les changements sociopolitiques des dernières années. Ces deux éléments se traduisent par des crises successives qui mettent en danger la stabilité politique et sécuritaire du pays. Les crises externes et les divergences sur des questions stratégiques deviennent un conflit interne lié à l’équilibre et à la participation de toutes les composantes au pouvoir, ainsi qu’au respect des institutions. La crise devient ainsi une interaction entre les facteurs internes et externes, mêlant le politique au constitutionnel et le politique au confessionnel.
Qu’entendez-vous par évolution sociopolitique ?
La ligne de fracture tourne actuellement autour de trois dossiers conflictuels. Il y a d’abord celui de la résistance contre Israël. Il faudrait adopter une équation interne, une sorte de compréhension qui traite la résistance comme une condition de la souveraineté et la considère comme une des particularités libanaises, tant que la menace existe. Dans ce contexte, la résistance est une expression de l’évolution sociopolitique du Liban. Elle n’est donc pas un concept parachuté ou provisoire. Elle doit donc être prise en considération dans la réalisation d’une entente entre les composantes de la société libanaise. Cela ne signifie nullement que les autres composantes n’ont pas le droit d’exprimer leurs inquiétudes ou de rechercher des garanties. C’est d’ailleurs ce qu’il faut discuter dans le cadre d’un dialogue national visant à l’adoption d’une stratégie nationale pour protéger les Libanais. Ce dialogue a pour objectif d’assurer des garanties réciproques et de répondre aux inquiétudes pour convaincre toutes les parties que la résistance sert les intérêts de tous les Libanais et ne constitue une menace pour aucune partie d’entre eux.
L’autre dossier conflictuel porte sur le Tribunal spécial pour le Liban. Pour nous, ce tribunal est anticonstitutionnel et illégal. Il confisque la souveraineté judiciaire libanaise et met le Liban à la merci des interventions étrangères. En plus du fait qu’il constitue un facteur de division interne. Quels que soient les paris de certains sur le TSL, les résultats sont dangereux pour l’ensemble du pays. C’est pourquoi il faut soit légaliser et crédibiliser la situation du TSL, soit trouver d’autres formules capables d’aboutir à la vérité. Le TSL est synonyme d’instabilité et engendre des troubles dans les relations entre les composantes de la société libanaise. Le Liban est plus grand que tous, comme disait Rafic Hariri, et la stabilité est une priorité. Il faut donc clore le dossier.
Si, à Dieu ne plaise, sayyed Nasrallah est assassiné et des Libanais sont impliqués dans cette affaire, accepteriez-vous que l’on utilise la même logique ?
La question n’est pas là. Les coupables doivent être châtiés. Le problème réside dans le fait que le TSL est un moyen inefficace et biaisé qui n’aboutit pas à la vérité et n’a rien à voir avec la justice.
Le troisième dossier conflictuel est celui des relations libano-syriennes. Elles doivent être spéciales et exceptionnelles. Les deux pays sont liés par une histoire commune, par une longue frontière commune, et la Syrie constitue pour le Liban la seule voie de passage terrestre vers le monde arabe. La Syrie est le poumon économique du Liban et elle est notre appui principal contre Israël. Le Liban a intérêt à avoir de bonnes relations avec la Syrie et il a aussi intérêt que la situation soit stable en Syrie. Toutes les parties libanaises doivent être conscientes de ce fait. Aucune partie libanaise ne doit être impliquée dans le chaos ou une guerre civile en Syrie, car le Liban en sera forcément affecté. Quant à l’évolution du système politique syrien, il est l’affaire des Syriens eux-mêmes. Nous n’appelons personne à aimer la Syrie. Mais il faut être conscient des intérêts géostratégiques du Liban.
Le quatrième dossier conflictuel est le système politique actuel. L’accord de Taëf est quasiment étranglé. Il ne parvient plus à réglementer les relations entre les Libanais, car il est incapable d’évoluer. Même s’il prévoit en fait les mécanismes pour cela. Il s’est donc heurté aux obstacles confessionnels chrétiens et musulmans. Les chrétiens ont rejeté le processus d’abolition du confessionnalisme politique et les sunnites sont attachés à l’accord tel qu’il est appliqué. Il y a peut-être une volonté de réforme chez certains mais pour qu’elle aboutisse, il faut que les sunnites, les chiites et les chrétiens (sans oublier les druzes) soient d’accord. Toute réforme qui ne respecte pas ces composantes se transforme en crise et provoque l’instabilité. Nous autres, nous sommes prêts, mais nous ne voulons pas que cette question devienne un conflit confessionnel. La stabilité politique est donc face à l’alternative suivante : soit la création d’un État démocratique basé sur le concept de citoyenneté, avec l’abolition du confessionnalisme politique et la protection des droits des communautés par la création d’un Sénat, soit l’approfondissement du concept de démocratie consensuelle. Dans le premier cas, il faut un État centralisé et un président élu au suffrage universel, ce qui lui permettrait de surmonter le pouvoir des confessions. Cette formule semble difficile car les chrétiens refusent l’abolition du confessionnalisme. La seconde option semble plus réalisable, mais il faut fixer les principes du consensus qui, à mon avis, se résument à quatre : l’adoption du système électoral proportionnel, l’octroi d’un droit de veto aux communautés, l’adoption d’une décentralisation administrative poussée, et la formation de grandes coalitions, dans le but de relever le niveau de participation politique pour toutes les communautés. Cette option me paraît possible. En tout cas, il faut y réfléchir.
Vos relations avec l’Iran et l’allégeance à wilayet el-fakih ne constituent-elles pas une entrave à votre « libanisme » ?
Elles font partie de nos croyances religieuses, culturelles et sociales, qui sont protégées par la Constitution. Elles ne mettent pas en cause nos engagements politiques envers le contrat social libanais. Nous respectons la formule libanaise. Nous sommes attachés à la coexistence et nous n’avons pas d’autre choix ni d’agenda secret.
Le fait que le financement du Hezbollah provient de l’Iran ne contredit-il pas ces propos ?
Toutes les communautés libanaises reçoivent un financement de l’étranger.
Mais toutes n’ont pas des armes...
Les armes de la résistance ne sont pas une composante de l’équation de la coexistence ni de l’équilibre entre les communautés. Ces armes sont liées à l’entité, à la terre et à la protection de celles-ci. Elles sont une nécessité et n’ont pas une identité confessionnelle. Elles auraient pu ne pas être chiites.
Elles ne l’étaient pas au début, mais vous avez tout fait pour en avoir le monopole...
Non. La résistance est née spontanément et elle est liée à la géopolitique du pays. Elle a ensuite fait plusieurs tentatives pour regrouper en son sein toutes les confessions. C’est ainsi qu’une structure militaire souple appelée « les unités de défense » a été créée et consistait à permettre à tous ceux qui le désirent de s’enrôler dans la résistance. Ces unités étaient composées d’habitants des villages frontaliers avec Israël.
Dans le fond, il faut comprendre ce que signifie la résistance sur le plan libanais. Il s’agit d’un concept bien plus profond qu’une simple action militaire sur un fond politique. Elle est le fruit de l’entité libanaise avec ses particularités complexes. C’est ce qui lui enlève son côté temporaire. Il y a toujours eu au Liban une résistance dans un sens ou dans l’autre, qui a eu des expressions multiples, mais qui est liée aux composantes complexes du Liban et qui est dans la logique géopolitique, dans sa double dimension géographique et démographique. Son lien avec le Liban est comme celui de l’arbre et de son fruit. Elle est donc une expression à la fois mûre et naturelle. Le Liban a, par essence, une dualité entre ses montagnes et la côte, entre, donc, le concept de résistance et celui d’ouverture et d’émigration. C’est d’ailleurs pourquoi l’émigration est un phénomène qui s’est répété à travers l’histoire du Liban. Alors que la défense a toujours été le propre des montagnes et de leurs habitants. Il s’agit donc d’une résistance contre une force plus puissante. Dans cette optique, il faut préciser que la réalité libanaise a toujours tourné autour d’une dynamique double, celle de l’ouverture et celle de la résistance. De plus, c’est l’un des rares pays au monde dont l’identité est en constante évolution. À tort ou à raison, le Libanais se voit lui-même et voit son pays comme étant exceptionnels. Il pense que son pays et lui sont particuliers. La Constitution stipule que le Liban est une patrie définitive, mais l’identité libanaise, elle, est en perpétuelle évolution. Elle a commencé par être une sorte de mélange entre l’arabité et la libanité, entre la liberté, la diversité et la coexistence, et maintenant, il faut ajouter la résistance, qui a permis à la géopolitique libanaise de se réconcilier avec elle-même, et l’ouverture... Ceux qui s’opposent ainsi à la résistance vont dans le sens contraire de l’histoire et de l’évolution sociopolitique du Liban.
Question. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi le Liban vit depuis des décennies au bord du gouffre ? Les raisons sont-elles structurelles, intrinsèques aux Libanais, ou relatives aux circonstances externes ?
Réponse. Il est certain que les facteurs régionaux sont très importants. Depuis l’émergence de l’État d’Israël, qui a entraîné la formation de dictatures militaires et aiguisé la question des minorités dans la région, la stabilité régionale, et au Liban en particulier, a été ébranlée. Mais le facteur principal reste l’incapacité des Libanais à jeter les bases d’un État autonome par rapport à la société. C’est la tare principale. Depuis l’adoption du pacte national en 43 jusqu’à nos jours, celui-ci a été perçu comme un accord entre les communautés pour se partager le pouvoir. Alors qu’à mon avis, il était bien plus que cela. Il est venu délivrer à ceux qui voulaient une union avec la Syrie et à ceux qui voulaient un retour au mandat français un message principal : nous voulons vivre ensemble. La notion de « vivre ensemble » provient d’un changement important qui s’était produit au cours des 20 années précédentes et qui consistait en l’émergence d’une bourgeoisie islamo-chrétienne qui avait des intérêts et se voyait un avenir commun. Il y a eu ensuite l’expérience de Fouad Chéhab qui a tenté de créer un État autonome. Mais en 1970, en renonçant à présenter sa candidature pour un nouveau mandat, il a pratiquement sonné le glas de l’État, en déclarant que personne ne veut entreprendre des réformes. Entre-temps, il y avait eu la guerre israélo-arabe de 67 et l’arrivée des Palestiniens au Liban, à laquelle a correspondu la création du Helf, la première alliance à base communautaire. La polarisation communautaire remonte à cette période. Et les modérés des deux camps ont été balayés, les sunnites ont été vers l’OLP et les chrétiens vers le Front libanais. Ce fut ensuite la guerre au cours de laquelle chaque camp a tenté de mettre en application son projet extrémiste, en ayant recours à l’étranger. Les chrétiens ont ainsi commencé par faire appel à la Syrie puis à Israël et les musulmans ont commencé par appeler à l’aide l’OLP puis les Syriens, etc. Cette situation a encouragé les parties externes à intervenir dans les affaires libanaises. La guerre islamo-chrétienne s’est ensuite transformée en guerre dans chaque camp et ce fut l’accord de Taëf. Cet accord repose sur deux principes : il est impossible de continuer à vivre en état de guerre et il est impossible pour chaque camp de vivre son mode communautaire propre. La différence entre le pacte de 43 et Taëf c’est que ce dernier n’était pas porté par des forces politiques. Il était le résultat de l’échec des autres projets et il avait été essentiellement concocté par trois personnes : Rafic Hariri, Hussein Husseini et le patriarche maronite Sfeir. Mais la culture politique restait communautaire. De plus, la Syrie a aussi poussé vers son application selon ses intérêts immédiats, le transformant en une sorte d’accord tripartite (accord entre Amal, le PSP et les Forces libanaises, signé en Syrie en 1984). Enfin, l’accord de Taëf a certes mis fin à la guerre, mais il n’y a eu aucun travail sur la mémoire et aucun dialogue entre les différentes parties.
Aujourd’hui, les Syriens ne sont plus là. Or le Liban est plus polarisé que jamais et le dialogue pratiquement rompu entre les deux camps rivaux, alors que l’État est paralysé. Que faire pour en sortir ?
L’accord de Taëf avait mis au point un mécanisme : l’établissement d’un État où les droits sont accordés aux citoyens et les garanties aux communautés. Il y avait donc un Sénat pour les communautés et un Parlement pour les citoyens. Il fallait ainsi nettoyer l’administration, qui est la clé du système communautaire en permettant (via le clientélisme) aux communautés d’infester l’État, et adopter une loi électorale sur la base des mohafazats, qui favorise un vote islamo-chrétien et exclut les radicaux. Aujourd’hui, l’intérêt communautaire prime l’intérêt général, mais en même temps, une société civile a fait son apparition et c’est sur elle qu’il faut miser. Le 14 mars 2005, les gens sont spontanément descendus dans la rue au-delà de tous les pronostics des partis qui avaient appelé à la manifestation. C’est sur cette force-là qu’il faut miser et elle est dans tous les camps. Il faut entamer un dialogue.
Comment réussir un dialogue alors que les visions du Liban et de la région sont aussi radicalement opposées?
Nous vivons une fin de période. Le printemps arabe ne va pas dans le sens du projet iranien, qui visait à représenter le monde musulman dans l’équation mondiale. Par conséquent, il va entraîner la fin du projet du Hezbollah. Mais cela ne signifie pas que l’autre projet a gagné. C’est une situation nouvelle qui est en train d’émerger et il faut commencer par des points qui rapprochent, comme la campagne contre les violences, en faveur de l’écologie, ou pour l’abolition du confessionnalisme.
À supposer que ce soit vrai, la fin du Hezbollah peut-elle se faire sans conflits sanglants ?
C’est notre responsabilité. C’est ce qu’a essayé de faire Saad Hariri en appelant à un dialogue en disant au Hezbollah : votre projet est en train d’échouer, allons tous vers la construction d’un État. Si nous parvenons à éviter la guerre entre sunnites et chiites, nous aurons surmonté cette période et nous deviendrons un modèle pour la région. Le printemps arabe a porté les sunnites au pouvoir, ils doivent maintenant faire une déclaration d’intentions apaisante. Le grand enjeu est de faire des courants islamistes des démocraties musulmanes sur le modèle de la démocratie chrétienne en Europe et de dire que le radicalisme a fait son temps.
Les partis communautaires actuels ont-ils intérêt à le faire ?
Si on continue ainsi, on tourne dans un cercle vicieux. La proposition de Saad Hariri doit donc se traduire concrètement par un projet de dialogue sérieux initié soit par le président de la République, soit par la société civile. Une fois lancée, la dynamique ne peut plus être arrêtée.
Et Israël dans tout cela ?
Le printemps arabe lui a porté un coup terrible. Israël n’a plus le monopole de la démocratie. Le débat au sein d’Israël a perdu de sa profondeur et ce pays abrite désormais deux mondes aux antipodes l’un de l’autre, Jérusalem et Tel-Aviv. Je ne sais pas s’il peut continuer comme cela.
Ali Fayad : La résistance fait désormais partie de l’identité libanaise
Question. Pourquoi, selon vous, le Liban est-il toujours au bord du gouffre et quelle est votre part de responsabilité dans cette instabilité ?
Réponse. Il est certain que le facteur régional a une grande influence sur la situation libanaise, ce pays se trouvant sur une ligne de fracture. Mais à la différence d’autres régimes, le Liban ne parvient pas à absorber les contradictions ni à les organiser dans un cadre constitutionnel. De plus, le régime libanais n’a pas pris en considération les changements sociopolitiques des dernières années. Ces deux éléments se traduisent par des crises successives qui mettent en danger la stabilité politique et sécuritaire du pays. Les crises externes et les divergences sur des questions stratégiques deviennent un conflit interne lié à l’équilibre et à la participation de toutes les composantes au pouvoir, ainsi qu’au respect des institutions. La crise devient ainsi une interaction entre les facteurs internes et externes, mêlant le politique au constitutionnel et le politique au confessionnel.
Qu’entendez-vous par évolution sociopolitique ?
La ligne de fracture tourne actuellement autour de trois dossiers conflictuels. Il y a d’abord celui de la résistance contre Israël. Il faudrait adopter une équation interne, une sorte de compréhension qui traite la résistance comme une condition de la souveraineté et la considère comme une des particularités libanaises, tant que la menace existe. Dans ce contexte, la résistance est une expression de l’évolution sociopolitique du Liban. Elle n’est donc pas un concept parachuté ou provisoire. Elle doit donc être prise en considération dans la réalisation d’une entente entre les composantes de la société libanaise. Cela ne signifie nullement que les autres composantes n’ont pas le droit d’exprimer leurs inquiétudes ou de rechercher des garanties. C’est d’ailleurs ce qu’il faut discuter dans le cadre d’un dialogue national visant à l’adoption d’une stratégie nationale pour protéger les Libanais. Ce dialogue a pour objectif d’assurer des garanties réciproques et de répondre aux inquiétudes pour convaincre toutes les parties que la résistance sert les intérêts de tous les Libanais et ne constitue une menace pour aucune partie d’entre eux.
L’autre dossier conflictuel porte sur le Tribunal spécial pour le Liban. Pour nous, ce tribunal est anticonstitutionnel et illégal. Il confisque la souveraineté judiciaire libanaise et met le Liban à la merci des interventions étrangères. En plus du fait qu’il constitue un facteur de division interne. Quels que soient les paris de certains sur le TSL, les résultats sont dangereux pour l’ensemble du pays. C’est pourquoi il faut soit légaliser et crédibiliser la situation du TSL, soit trouver d’autres formules capables d’aboutir à la vérité. Le TSL est synonyme d’instabilité et engendre des troubles dans les relations entre les composantes de la société libanaise. Le Liban est plus grand que tous, comme disait Rafic Hariri, et la stabilité est une priorité. Il faut donc clore le dossier.
Si, à Dieu ne plaise, sayyed Nasrallah est assassiné et des Libanais sont impliqués dans cette affaire, accepteriez-vous que l’on utilise la même logique ?
La question n’est pas là. Les coupables doivent être châtiés. Le problème réside dans le fait que le TSL est un moyen inefficace et biaisé qui n’aboutit pas à la vérité et n’a rien à voir avec la justice.
Le troisième dossier conflictuel est celui des relations libano-syriennes. Elles doivent être spéciales et exceptionnelles. Les deux pays sont liés par une histoire commune, par une longue frontière commune, et la Syrie constitue pour le Liban la seule voie de passage terrestre vers le monde arabe. La Syrie est le poumon économique du Liban et elle est notre appui principal contre Israël. Le Liban a intérêt à avoir de bonnes relations avec la Syrie et il a aussi intérêt que la situation soit stable en Syrie. Toutes les parties libanaises doivent être conscientes de ce fait. Aucune partie libanaise ne doit être impliquée dans le chaos ou une guerre civile en Syrie, car le Liban en sera forcément affecté. Quant à l’évolution du système politique syrien, il est l’affaire des Syriens eux-mêmes. Nous n’appelons personne à aimer la Syrie. Mais il faut être conscient des intérêts géostratégiques du Liban.
Le quatrième dossier conflictuel est le système politique actuel. L’accord de Taëf est quasiment étranglé. Il ne parvient plus à réglementer les relations entre les Libanais, car il est incapable d’évoluer. Même s’il prévoit en fait les mécanismes pour cela. Il s’est donc heurté aux obstacles confessionnels chrétiens et musulmans. Les chrétiens ont rejeté le processus d’abolition du confessionnalisme politique et les sunnites sont attachés à l’accord tel qu’il est appliqué. Il y a peut-être une volonté de réforme chez certains mais pour qu’elle aboutisse, il faut que les sunnites, les chiites et les chrétiens (sans oublier les druzes) soient d’accord. Toute réforme qui ne respecte pas ces composantes se transforme en crise et provoque l’instabilité. Nous autres, nous sommes prêts, mais nous ne voulons pas que cette question devienne un conflit confessionnel. La stabilité politique est donc face à l’alternative suivante : soit la création d’un État démocratique basé sur le concept de citoyenneté, avec l’abolition du confessionnalisme politique et la protection des droits des communautés par la création d’un Sénat, soit l’approfondissement du concept de démocratie consensuelle. Dans le premier cas, il faut un État centralisé et un président élu au suffrage universel, ce qui lui permettrait de surmonter le pouvoir des confessions. Cette formule semble difficile car les chrétiens refusent l’abolition du confessionnalisme. La seconde option semble plus réalisable, mais il faut fixer les principes du consensus qui, à mon avis, se résument à quatre : l’adoption du système électoral proportionnel, l’octroi d’un droit de veto aux communautés, l’adoption d’une décentralisation administrative poussée, et la formation de grandes coalitions, dans le but de relever le niveau de participation politique pour toutes les communautés. Cette option me paraît possible. En tout cas, il faut y réfléchir.
Vos relations avec l’Iran et l’allégeance à wilayet el-fakih ne constituent-elles pas une entrave à votre « libanisme » ?
Elles font partie de nos croyances religieuses, culturelles et sociales, qui sont protégées par la Constitution. Elles ne mettent pas en cause nos engagements politiques envers le contrat social libanais. Nous respectons la formule libanaise. Nous sommes attachés à la coexistence et nous n’avons pas d’autre choix ni d’agenda secret.
Le fait que le financement du Hezbollah provient de l’Iran ne contredit-il pas ces propos ?
Toutes les communautés libanaises reçoivent un financement de l’étranger.
Mais toutes n’ont pas des armes...
Les armes de la résistance ne sont pas une composante de l’équation de la coexistence ni de l’équilibre entre les communautés. Ces armes sont liées à l’entité, à la terre et à la protection de celles-ci. Elles sont une nécessité et n’ont pas une identité confessionnelle. Elles auraient pu ne pas être chiites.
Elles ne l’étaient pas au début, mais vous avez tout fait pour en avoir le monopole...
Non. La résistance est née spontanément et elle est liée à la géopolitique du pays. Elle a ensuite fait plusieurs tentatives pour regrouper en son sein toutes les confessions. C’est ainsi qu’une structure militaire souple appelée « les unités de défense » a été créée et consistait à permettre à tous ceux qui le désirent de s’enrôler dans la résistance. Ces unités étaient composées d’habitants des villages frontaliers avec Israël.
Dans le fond, il faut comprendre ce que signifie la résistance sur le plan libanais. Il s’agit d’un concept bien plus profond qu’une simple action militaire sur un fond politique. Elle est le fruit de l’entité libanaise avec ses particularités complexes. C’est ce qui lui enlève son côté temporaire. Il y a toujours eu au Liban une résistance dans un sens ou dans l’autre, qui a eu des expressions multiples, mais qui est liée aux composantes complexes du Liban et qui est dans la logique géopolitique, dans sa double dimension géographique et démographique. Son lien avec le Liban est comme celui de l’arbre et de son fruit. Elle est donc une expression à la fois mûre et naturelle. Le Liban a, par essence, une dualité entre ses montagnes et la côte, entre, donc, le concept de résistance et celui d’ouverture et d’émigration. C’est d’ailleurs pourquoi l’émigration est un phénomène qui s’est répété à travers l’histoire du Liban. Alors que la défense a toujours été le propre des montagnes et de leurs habitants. Il s’agit donc d’une résistance contre une force plus puissante. Dans cette optique, il faut préciser que la réalité libanaise a toujours tourné autour d’une dynamique double, celle de l’ouverture et celle de la résistance. De plus, c’est l’un des rares pays au monde dont l’identité est en constante évolution. À tort ou à raison, le Libanais se voit lui-même et voit son pays comme étant exceptionnels. Il pense que son pays et lui sont particuliers. La Constitution stipule que le Liban est une patrie définitive, mais l’identité libanaise, elle, est en perpétuelle évolution. Elle a commencé par être une sorte de mélange entre l’arabité et la libanité, entre la liberté, la diversité et la coexistence, et maintenant, il faut ajouter la résistance, qui a permis à la géopolitique libanaise de se réconcilier avec elle-même, et l’ouverture... Ceux qui s’opposent ainsi à la résistance vont dans le sens contraire de l’histoire et de l’évolution sociopolitique du Liban.
source:OLJ du 5 Mai 2012
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