Pour une « intifada de la paix »
Par Samir Frangié
2012 - 03
2012 - 03
«La crise, c’est quand l’ancien se meurt et que le nouveau peine à émerger. » Cette citation d’Antonio Gramsci résume bien la situation que nous vivons : un monde ancien qui s’effondre avec le printemps arabe et la révolution syrienne, et un nouveau monde qui ne parvient pas à naître.
Et cette crise est d’autant plus difficile à gérer qu’elle a pris tout le monde au dépourvu. Personne ne pouvait prévoir que la victoire de la Syrie et de l’Iran, marquée par la chute du gouvernement de Saad Hariri, allait être d’aussi courte durée. Les dirigeants syriens qui voulaient venger l’humiliation que les Libanais leur avaient fait subir le 14 mars de l’année 2005 se retrouvent le 15 mars de l’année 2011 confrontés à un soulèvement populaire sans précédent dans l’histoire de la Syrie. L’Iran qui œuvrait à devenir le représentant du monde musulman dans le nouvel ordre mondial n’est pas dans une meilleure situation, miné de l’intérieur par des conflits au sein même du pouvoir et marginalisé à l’extérieur par un printemps arabe qui rejette toute forme de tutelle.
Le Hezbollah qui avait, avec la formation du gouvernement de M. Mikati, considéré avoir, enfin, atteint ses objectifs et pris le contrôle de l’État se trouve forcé de financer un tribunal qu’il considère être un instrument aux mains d’Israël et qui, de surcroît, a inculpé quatre de ses membres dans l’assassinat du président Hariri. Quant à son allié, le général Michel Aoun, qui avait pourtant annoncé la fin de la révolution en Syrie, il ne peut pas accomplir son pèlerinage annuel à Alep et se retrouve forcé d’assister à la messe de la Saint-Maron, comme tout le monde, à Beyrouth.
Un monde ancien se meurt, c’est évident, mais que faire pour faire émerger un monde nouveau ? En d’autres termes, comment mettre fin au cycle de violence que le régime syrien a initié et entretenu depuis des décennies et jeter les bases d’un « autre » Liban, un Liban de paix, moderne, ouvert sur le monde, capable de renouer avec son rôle historique dans le monde arabe ? Comment contourner les blocages communautaires et mobiliser la société civile pour préparer le terrain, après « l’intifada de l’indépendance » de 2005, à une « intifada de la paix » en 2012 ?
Pour mener la bataille de la paix, plusieurs conditions sont requises :
La première est de ne pas répéter les erreurs du passé et de faire assumer à une communauté la responsabilité des erreurs commises en son nom par un parti politique. Cette identification est dangereuse et débouche nécessairement sur de nouvelles violences. Les expériences passées sont là pour le montrer. Pour éviter ce danger, il nous faut avoir le courage de reconnaître notre responsabilité commune dans la guerre qui a ravagé notre pays, ayant tous, à un moment ou à un autre, eu recours aux armes et recherché dans les guerres que nous nous sommes livrées l’aide de forces extérieures, renonçant de ce fait à notre indépendance et à notre souveraineté.
La deuxième condition est de refonder notre vivre-ensemble aux conditions de l’État et non aux conditions d’une communauté, d’un parti ou d’une milice. Il nous faut pour cela réhabiliter notre État en lui redonnant le monopole de la force qu’il a perdu depuis 1969, avec l’accord du Caire, et en le libérant du carcan communautaire qui l’étouffe. Il devient impératif à la lumière de nos expériences passées de jeter les bases d’un État civil où l’individu n’est plus réduit à sa seule dimension communautaire, et où la religion n’est plus instrumentalisée à des fins politiques.
La troisième condition est d’inverser notre rapport actuel au monde arabe pour cesser d’être un simple réceptacle des conflits de la région et devenir acteur dans la bataille engagée pour un « autre » monde arabe, un monde arabe démocratique et pluraliste.
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En 2005, les Libanais ont, avec le « printemps de Beyrouth », initié la bataille pour la liberté dans le monde arabe qui a conduit au printemps arabe. Il leur faut aujourd’hui compléter cette bataille par une autre bataille, celle de la paix. Cette bataille est essentielle pour eux, car la paix est aujourd’hui une condition à leur survie. Elle est également essentielle pour le monde arabe sur lequel plane la menace de conflits communautaires, ethniques et tribaux. Elle est enfin essentielle pour lever l’obstacle que représente le conflit israélo-arabe et ouvrir la voie à une normalisation des rapports entre le monde arabo-musulman et l’Occident.
source:OLJ littéraire/03/2012
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