L'assassinat d'un responsable libanais hostile au régime syrien montre que le Liban est devenu un microcosme des rivalités dans la région, où Damas et son allié iranien se sentent plus enhardis grâce aux succès contre les rebelles.
Mohammad
Chatah, tué vendredi 27 Décembre 2013 dans un attentat à la voiture piégée à Beyrouth, était un
des "cerveaux" de la coalition libanaise dite du 14 mars qui est
appuyée par l'Arabie saoudite et qui est le principal rival du Hezbollah
chiite, fidèle allié de Damas et de Téhéran. Selon les
analystes, ce meurtre va alimenter l'animosité entre le royaume saoudien et la République islamique et pousser les deux camps libanais à se radicaliser.
"Cet assassinat politique reflète bien plus qu'un simple débordement du conflit syrien, cette étape est dépassée. Désormais, nous entrons dans une guerre irano-saoudienne par procuration", estime Karim Bitar, de l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).
Ryad, qui soutient les
rebelles syriens, et Téhéran, qui a envoyé des officiers pour soutenir l'armée
syrienne, profitent de la polarisation au Liban pour régler leurs comptes,
alors que ce petit pays "n'a aucune immunité", ajoute l'analyste basé
à Paris. Le Liban est profondément divisé par la guerre en Syrie, le Hezbollah
combattant aux côtés du régime de Bachar al-Assad, tandis que la coalition du
14 mars soutient les rebelles depuis le début du conflit en mars 2011.
Et si la
tutelle de Damas sur son voisin s'est officiellement terminée en 2005, la Syrie
maintient son influence au Liban via le Hezbollah, ajoutant aux tensions
politiques et communautaires au Liban.
Pour Lina
Khatib, directrice du Carnegie Middle East Centre, le Liban est devenu "un
microcosme des conflits régionaux".
Selon
elle, l'inaction occidentale face au drame syrien, les négociations sur les
armes chimiques syriennes et celles sur le nucléaire iranien, ont par ailleurs
enhardi le président Assad et ses alliés en Iran et au Liban.
Sur le
terrain, en outre, l'armée syrienne et ses alliés ont enregistré toute une
série de victoire face aux rebelles ces derniers mois.
Mme Khatib
rappelle que l'assassinat de Mohammad Chatah intervient après "une série
d'attaques et de contre-attaques des camps politiques ennemis" au Liban.
En
novembre, un double attentat suicide revendiqué par un groupe lié à Al-Qaïda
avait visé l'ambassade d'Iran, faisant 25 morts et le Hezbollah avait accusé
l'Arabie saoudite d'être derrière l'attaque.
Le 23
août, un double attentat à la voiture piégée contre deux mosquées sunnites
avait fait 45 morts à Tripoli, grande ville du nord.
Du 'pur
terrorisme'
Pour Karim
Bitar, les attentats visant aussi bien la coalition du 14 mars que ceux contre
le Hezbollah sont du "pur terrorisme", mais "le modus operandi
et les motivations diffèrent".
Les
assassinats ciblées contre le 14 mars ont en effet commencé des années avant la
révolte syrienne: depuis 2005, neuf hommes politiques et journalistes
anti-Assad ont été assassinés.
Avec l'attentat
contre Mohammad Chatah, Damas "pourrait bien envoyer le message qu'il est
encore capable de déstabiliser le Liban si ses intérêts ne sont pas
préservés", estime M. Bitar.
Quant aux
attaques contre le Hezbollah, "elles font partie d'une lutte régionale
plus vaste entre différents services de renseignements, et sont la conséquence
de l'animosité grandissante entre sunnites et chiites".
La
rivalité entre l'Iran chiite et l'Arabie saoudite sunnite étant à son plus haut
niveau, il est plus que probable que les attaques dont souffre le Liban se
multiplient.
"Seul
un rapprochement entre l'Iran et les Saoudiens peut y mettre un terme. Et cela
semble peu probable", ajoute l'analyste de l'IRIS.
"Les
modérés libanais n'ont plus voix au chapitre, et il ne reste que les
extrémismes, chiites et sunnites", déplore-t-il.
Ces
développements s'inscrivent par ailleurs dans un Liban en pleine crise
politique, qui n'a pas eu de gouvernement depuis huit mois. Et le Hezbollah et
les partisans de la coalition du 14 mars apparaissent plus éloignés que jamais
d'un accord.
"Ce
dernier assassinat va faire durer le blocage entre les deux camps",
affirme Imad Salamé, qui enseigne les sciences politiques à l'Université
américaine du Liban.
"Il
est très probable qu'une nouvelle série d'assassinats et d'attentats arrive,
car aucune solution acceptable pour les deux camps ne se profile à
l'horizon".
source:AFP