L’élection de Bachir Gémayel à la présidence de la République
le 23 août 1982
a été perçue comme un évènement déterminant pour l’avenir du Liban.
Tout le monde s’accordait à le penser, dont le président Élias Sarkis
qui l’avait fortement soutenu. Il apparaissait le seul à même de
pouvoir libérer le pays des forces étrangères qui continuaient à occuper
de larges portions du territoire : les Palestiniens partis,
il restait l’armée syrienne, toujours décidée à soumettre
le pays au régime de Damas, et l’armée israélienne,
qui liait son retrait à la conclusion d’un traité de paix avec le Liban.
Mais lui président, on s’attendait à plus que cela ;
on sentait venir
comme une révolution qui allait modifier
de manière radicale
le cours de la vie publique dans le pays.
Il appartenait à cette race d’hommes d’État –
l’histoire en retient un certain nombre –
qui transcendent constamment le quotidien
politique en valeurs universelles.
Oui, il voulait réformer en profondeur tout
le système libanais ;
l’idée majeure était d’ériger le Liban, comme il disait,
en État-nation.
C’est ce qu’il allait proclamer haut et fort dans
le discours d’investiture
qu’il devait prononcer devant le Parlement le
23 septembre 1982 :
« L’État-nation répond à des aspirations et à
des rêves historiques »
(L’Orient-le Jour du 14 septembre 1992).
C’est à peu près la même
définition qu’en donne Ernest Renan :
« Ce qui constitue une nation (...),
c’est d’avoir fait ensemble de grandes choses
dans le passé et de
vouloir en faire encore dans l’avenir. »
On s’attache à une nation en s’intégrant
On s’attache à une nation en s’intégrant
à son histoire, même si elle
est parfois, comme écrit un auteur,
« entièrement ou
partiellement inventée »
(Schnapper cité par Yves Lequette,
Les Cahiers du Conseil constitutionnel n° 23, 2007, p. 79),
et en acceptant de l’assumer,
même si elle n’est pas toujours glorieuse.
Les Français ne manquent pas de mentionner
leurs guerres de religion,
la terreur, la traque des juifs, les guerres coloniales.
C’est essentiellement avec leur histoire millénaire
qu’ils ont bâti un
État-nation qui paraît à bien des peuples exemplaire.
Mais le courant mondialiste qu’on voyait déjà
Mais le courant mondialiste qu’on voyait déjà
arriver va-t-il encore
laisser place à l’État-nation ?
J’ai posé la question à Bachir :
« Je crains que l’ère de l’État-nation ne soit révolue,
nous arrivons peut-être trop tard. »
Alors, pastichant La Bruyère,
Alors, pastichant La Bruyère,
il m’a répondu avec l’assurance
d’une foi sans faille :
« Rien n’est dit et l’on n’arrive jamais trop tard.
L’histoire ouvre toujours ses portes à ceux qui
savent y frapper fort.
Notre peuple a suffisamment lutté et souffert
pour mériter d’y entrer. »
Il restait à surmonter les difficultés tenant à la
Il restait à surmonter les difficultés tenant à la
structure pluraliste du pays : resserrer les liens
entre les différentes composantes de la population :
attacher tous les Libanais, à quelque communauté
qu’ils appartiennent, à des valeurs et à un projet
politique accepté par tous et leur permettre ainsi de
transcender les appartenances particulières,
qu’elles soient religieuses ou claniques.
Pour Bachir, tout cela ne posait pas problème ;
Pour Bachir, tout cela ne posait pas problème ;
il avait une conviction inébranlable que ce qu’il décidait
de faire se réaliserait ; de là, il tirait sa force et
toute sa détermination à agir. La guerre et
toutes les souffrances qu’elle a engendrées
devraient porter la population – pensait-il –
à se resserrer autour de l’État, seul à même de
lui assurer la sécurité recherchée sur tout le territoire
de la République. « Notre peuple, disait-il,
sera soudé par la vision qu’il a d’un avenir prestigieux
que nous nous chargeons de lui assurer. »
On s’est souvent demandé s’il ne fallait pas, pour
On s’est souvent demandé s’il ne fallait pas, pour
répondre au caractère pluraliste du pays, adopter
pour le Liban, à l’instar de la Suisse, un système
fédéral ou confédéral assorti d’un exécutif collégial,
comme c’est pratiquement le cas aujourd’hui.
Bachir n’y était guère favorable :
« État fédéral, État unitaire, les juristes, disait-il,
finiront bien par trouver les mécanismes satisfaisants (...)
Notre action de résistance et de libération se situe à
un autre niveau, celui de la nation (...) à ce niveau-là,
nous n’acceptons que l’unité, nous parions sur l’unité
et nos paris sont toujours gagnants. »
(Discours de Beit-Méry du 2 avril 1982).
Il était cependant nécessaire que le Liban adopte
Il était cependant nécessaire que le Liban adopte
un statut de neutralité internationalement garanti.
Cela permet de mieux assurer la cohésion nationale,
d’éviter que l’une des communautés ne s’implique
ou ne prenne parti dans des conflits internationaux
ou régionaux en faveur de l’un ou
de l’autre des protagonistes,
et que cela puisse être mal apprécié ou mal ressenti
par d’autres.
« Deux négations ne font pas une nation »,
écrivait jadis Georges Naccache. Cela est peut-être vrai.
Mais des ni-ni ces derniers temps aux deux parties
qui se battent en Syrie ou à des courants arabes
ou moyen-orientaux opposés allégeraient bien
les tensions qu’on perçoit en ce moment à l’intérieur du pays.
La neutralité n’empêche pas le Liban de demeurer
La neutralité n’empêche pas le Liban de demeurer
dans le giron arabe. Pour Bachir,
cela ne devait faire aucun doute ; l’arabité lui apparaissait
comme un élément identitaire ô combien catalyseur
de l’unité nationale. Il ne cessait de souligner qu’il était
indispensable de maintenir avec le monde arabe « des
rapports de développement et de progrès ».
Il ne désespérait pas de voir arriver
dans les pays arabes des dirigeants suffisamment
réalistes pour renoncer de jouer à la guerre,
pour s’ouvrir à la liberté et à la démocratie,
et donner ainsi un autre visage au monde moyen-oriental.
En attendant, le Liban devra rester pour les Arabes
ce que la Suisse est pour les Européens, une terre d’accueil,
un centre d’affaires et de loisirs.
L’unité de la nation se joue encore d’avantage au plan interne
L’unité de la nation se joue encore d’avantage au plan interne
par une action de terrain. Il importe, à cet effet,
de sortir « l’Homo libanus », comme il disait, de son statut
de sujet et d’homme lige pour en faire un véritable citoyen
en rapport direct avec l’État, un État qui gère les intérêts
de la nation de manière exemplaire, sans complaisance
ni favoritisme, et avec une intégrité totale
de ses agents et de ses représentants.
Mais il lui fallait encore plus. « J’aurais peut-être besoin
Mais il lui fallait encore plus. « J’aurais peut-être besoin
de confier des responsabilités nationales à l’un ou à l’autre
d’entre vous, dit-il un jour à ses collaborateurs réunis
autour de lui après son élection. Ce n’est pas pour en faire
des politiciens qui n’ont de souci que
pour leurs intérêts et leur carrière.
Non, ce que j’attends de vous, c’est d’être de vrais serviteurs
du peuple et de l’État, agissant avec beaucoup de zèle,
le front bas et sans le moindre fla fla ni titre ridicule,
comme ceux dont on pare nos dirigeants :
les fakhamat, les ma’ali, les sa’adate et autres,
héritage de l’Empire ottoman, tout cela est à jeter aux orties. »
Il était très peu amène avec la classe politique,
Il était très peu amène avec la classe politique,
décidé à requérir les voix des députés pour se faire élire :
« J’aurais besoin, nous dit-il, d’un animal politique
près de moi pour m’aider à traverser cette jungle. »
Il n’était pas difficile d’en trouver, mais lui était bien
résolu à ne pas s’y embourber :
« Je ne crains pas de dévier de la ligne que nous
nous sommes tracée, entouré des redoutables
cerbères que vous êtes. » Les cerbères en question
sont devenus gardiens de temple, un temple dédié
à cet autre Liban dont rêvait Bachir Gemayel.
Sélim JAHEL
Professeur émérite à l’Université PARIS II
Sélim JAHEL
Professeur émérite à l’Université PARIS II
Bibliographie:
- Les Secrets De La Guerre En Liban - Alain Menargues
- President Bachir Gemayel Community Site
- Jean-Marc Aractingi, La Politique à mes trousses
- (Politics at my heels), Editions l'Harmattan, Paris, 2006,
- Lebanon Chapter (ISBN 978-2-296-00469-6).
- The War Of Lebanon (Documentary Series By Al Jazeera)