mardi 25 octobre 2011

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La guerre du Liban à travers le regard (et les larmes) de Marie

   
Par Carole DAGHER | 25/10/2011


Sur la couverture de l’ouvrage, une reproduction de l’icône miraculeuse de la Vierge à Mousseitbé.
Sur la couverture de l’ouvrage, une reproduction de l’icône miraculeuse de la Vierge à Mousseitbé.
UN ESSAI INÉDIT DE FADY NOUN - SALON DU LIVRE Fady Noun est un journaliste engagé au service de la vérité, exerçant son métier avec une conscience éthique appuyée sur sa foi. Auteur de recueils de poèmes et d’un essai sur la guerre, spécialiste des questions religieuses, il est attentif aux signes de notre temps, qu’il tente de percevoir au-delà de l’événement.


Méditer l’actualité pour en tirer les leçons essentielles, déceler la portée prophétique des actes et des mots, telle est la ligne de conduite de Fady Noun, non seulement dans l’exercice de son métier, mais dans sa vie aussi. Dans son dernier ouvrage publié par la faculté des sciences religieuses de l’USJ et préfacé par René Laurentin, le journaliste aborde le phénomène des apparitions de la Vierge au Liban de 1960 à 2005.
Sous le titre chargé d’espérance chrétienne, Dévastation et Rédemption (*), l’auteur signe une histoire originale de la guerre libanaise, en faisant revivre les années d’épreuves à travers le regard (et les larmes) de Marie. Il recueille les témoignages de ceux qui ont assisté aux apparitions de la Mère de Dieu dans le quartier de Mousseitbé, à Beyrouth, en 1970, au-dessus du dôme de la basilique Saints-Pierre-et-Paul des syriaques orthodoxes, ainsi qu’à Harissa, au monastère des carmélites, à Rmeich, au Liban-Sud en 1983 et jusque dans la plaine de la Békaa, à Béchouate et dans les villages environnants, en 1975-76 et en 2004. Il réfléchit à l’interprétation des messages liés aux manifestations de la Vierge, à la lecture des signes, au sens à leur donner, au rôle et à la place de la religiosité populaire dans la pratique religieuse...Un exercice difficile, délicat.
Au cœur de ces phénomènes «surnaturels», l’on retrouve une laïque fidèle de l’Église grecque-catholique, Mathilde Riachi, témoin privilégié des apparitions de la Vierge, qualifiée de «voyante». Fady Noun en brosse un portrait inspiré, raconte le combat de cette femme pour faire entendre les messages de la Vierge qui présageaient de la guerre, des exodes et des souffrances à venir. Il examine à la loupe les diverses interprétations de ces messages, politique, spirituelle, universaliste. Il rapporte les témoignages de plusieurs personnes, dont le patriarche Maximos V Hakim, aujourd’hui décédé, et le chanteur populaire Wadih el-Safi et des dignitaires religieux de diverses communautés. Il s’attarde sur la signification des manifestations de la Vierge à Béchouate, auprès des musulmans comme des chrétiens. Le journaliste explore les pistes, le croyant s’interroge et livre une réflexion inédite sur la guerre, sur son lot de souffrances, spirituelles autant que physiques, sur la théologie de l’histoire, sur la place de Marie dans la vie des hommes et des nations, sur le «charisme d’interprétation» nécessaire à la compréhension des signes donnés par la Sainte Vierge, c’est-à-dire le ministère prophétique. Il s’appuie pour cela sur de grands théologiens, comme Hans Urs von Balthasar ou le pape Jean-Paul II.
Dans la préface du livre, Mgr René Laurentin, théologien et spécialiste des apparitions mariales dans le monde, écrit à propos de l’approche de Fady Noun: «Il suit la ligne de crête entre le versant de l’approche des sciences humaines et le versant du respect du croyant, face à l’ineffabilité du mystère.»
Pour sa part, l’auteur a choisi d’expliquer, à la fin de son ouvrage, sa démarche de journaliste étayée par celle de l’homme engagé. Il affirme s’être donné, dans son essai, «la tâche – immense – de dire Dieu agissant dans l’histoire, l’amour en œuvre dans les grands brasiers. Et dans les grands bourbiers». Belle et noble mission. Fady Noun réussit certainement un tour de force d’allier le reportage historique, le témoignage chrétien et la réflexion théologique, dans ce livre qui se lit d’un trait. Son essai a le mérite de poser la question de notre capacité, au XXIe siècle, à reconnaître les signes par lesquels Dieu intervient dans l’histoire des hommes, souvent par la puissance tutélaire de Marie, mettant le rationalisme humain au défi de la transcendance, et introduisant l’Amour et la
Rédemption dans le monde.

samedi 15 octobre 2011

LIBAN : Voyage au bout de la violence

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Esprit brillant, intellectuel engagé, Samir Frangié publie ces jours-ci un essai intitulé Voyage au bout de la violence, le récit d’un long cheminement à la recherche d’une issue à la guerre qui a ravagé le Liban. 
Samir Frangié, dans cet essai à parraître aux éditions Actes Sud / L'Orient des livres, évoque  la violence  – la violence identitaire, la guerre entre les Libanais ; la violence israélienne et le projet d’une alliance des minorités contre la majorité arabo-musulmane ; la violence syrienne et le projet de « grande Syrie » – et  la « sortie » de la guerre ; l’assassinat de Rafic Hariri – « un meurtre fondateur » – et la révolution du Cèdre ; et nous parle du « vivre-ensemble », de la « culture du lien » et d’une voie arabe  vers la modernité à la lumière du Printemps  arabe. Un ouvrage édifiant, dont nous publions, en exclusivité, quelques extraits :

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Voyage au bout de la violence

Cet ouvrage est un témoignage sur la violence, les raisons qui la motivent, les mécanismes qui la régissent, la logique qui la justifie, l’aveuglement qui nous conduit à ne jamais voir notre propre violence et à la considérer comme une contre-violence, une réponse à une violence première.

La guerre libanaise est riche d’enseignements, car la violence qui se manifeste n’obéit pas aux normes connues. Cette guerre n’est pas une guerre entre États comme celles que l’Europe a connues jusqu’à la Seconde Guerre mondiale ; elle n’est pas non plus une guerre d’indépendance opposant des mouvements de libération nationale à des puissances coloniales ; elle n’est pas aussi une guerre de type identitaire, communautaire ou ethnique, comme celles que connaissent l’Afrique ou les Balkans. La guerre libanaise est difficile à classer, car elle est un mélange de toutes ces guerres. Elle est une guerre entre États, mais aussi une guerre de libération nationale contre un occupant qui varie d’une période à l’autre. Elle est également une guerre communautaire qui oppose chrétiens et musulmans, mais également musulmans sunnites et musulmans chiites. Elle est aussi une guerre à l’intérieur même des communautés, une guerre interchrétienne avec la « guerre d’élimination » (1990), et une guerre interchiite à Iqlim el-Touffah (1987). Elle est aussi la guerre d’Israël pour mettre à exécution son vieux projet d’une « alliance des minorités contre la majorité arabo-musulmane », et la guerre de la Syrie pour reconstituer la « grande Syrie » dans ses « frontières historiques ».Les noms à donner à cette guerre varient d’une période à l’autre. La seule constante est cette violence toujours prête à se manifester avec, pour l’alimenter, cette mémoire « historique » chargée de tous les malheurs du passé.

(…) Cet ouvrage est le récit d’une recherche longue et chaotique d’une « sortie » de la violence, une recherche difficile parce que la violence n’est jamais nommée. On parle d’agression, de riposte, de complot, de représailles, de légitime défense, de résistance, de vengeance, autant de mots qui ne servent, en fait, qu’à masquer une réalité que personne ne veut assumer. Même les éléments d’analyse font défaut. Les concepts de « lutte de classes », de « guerre de libération nationale », de « violence révolutionnaire » que nous utilisions, à gauche, pour expliquer la violence ont très vite montré leurs limites.

Je travaille, très tôt, à initier des dialogues et à rechercher des compromis entre les belligérants, entre chrétiens et musulmans, mais aussi entre Libanais et Palestiniens et entre Libanais et Syriens, avec pour objectif l’arrêt de la violence. Mais là se pose un nouveau problème. Que signifie l’arrêt de la violence ? Un cessez-le-feu entre les camps qui s’affrontent ? Une trêve de longue durée ? La paix ? Mais quelle paix ? Une paix glorieuse, une « paix des braves » comme celles évoquées dans nos manuels d’histoire, ou une paix banale, voire même mesquine, faite de concessions et même de compromissions ? Et que faire dans ce cas des grands principes au nom desquels nous nous sommes allègrement massacrés durant des décennies ? Faut-il les garder en réserve en prévision de nouvelles violences à venir ?

Il m’a fallu beaucoup de temps pour comprendre que le contraire de la violence n’était pas la paix entre entités communautaires ou partisanes, mais le lien, le lien entre des individus appartenant à des communautés et des groupes différents. La nuance est capitale. Le dialogue à instaurer prenait une autre dimension. L’objectif n’était plus de rechercher des compromis, mais de définir un projet de vie commun. Commence alors à émerger l’idée du « vivre-ensemble » par opposition à celle de coexistence communautaire jusque-là dominante.

À ce stade surgit une nouvelle difficulté. Le vivre-ensemble concerne des individus. Mais où les trouver dans une société régie par un communautarisme qui s’est beaucoup durci avec la guerre ? Fallait-il faire un tri entre « laïcs » et « communautaires » et s’adresser aux premiers en excluant les autres ? Comment le faire quand notre identité est faite d’appartenances multiples ? Fallait-il la « simplifier » pour ne retenir qu’une seule appartenance, ou bien « hiérarchiser » ces multiples appartenances pour les mettre en harmonie et accepter le principe d’une identité complexe ?

Le problème va plus loin. Ce vivre-ensemble entre individus ne peut se faire qu’à travers un processus d’individuation qui ne relève plus du domaine politique, mais moral. La prise de distance par rapport à nos appartenances communautaires nécessite  une reconnaissance de notre responsabilité commune dans la guerre qui a ravagé notre pays. C’est cette reconnaissance qui nous permet, en assumant nos erreurs, de pouvoir les dépasser et réfléchir à « l’après » de la guerre. Le clivage va désormais être entre ceux qui se prennent en charge et ceux qui continuent de déléguer leur liberté et leur autonomie pour rechercher la « sécurité » que procure l’enfermement dans une « tribu », qu’elle soit communautaire ou partisane, traditionnelle ou « moderne », héritée ou choisie, dominée par un symbole religieux ou délimitée par une couleur, un drapeau ou un sigle.

Ce clivage n’est plus lié aux appartenances communautaires, mais devient fonction de la maturité de chacun. Et cette maturité est continuellement questionnée, mise à l’épreuve, par les événements. Elle peut, pour un temps, être remise en question par les excès communautaires et les exaspérations qu’ils provoquent, par les « peurs » venues d’un passé qu’on croyait révolu, par les craintes d’un avenir incertain…

Ce livre est le récit de toutes ces interrogations et de ce long cheminement à la recherche de la paix. Ce n’est pas un récit politique, ni une analyse de la guerre. C’est l’histoire d’un voyage, d’un voyage au bout de la violence, fait de rencontres, de visages, d’échanges, d’expériences réussies, mais aussi de tentatives avortées. Ce livre est aussi, quelque part, l’histoire d’une violence qui m’a longtemps hanté, une violence avec laquelle j’ai eu, très jeune, l’occasion de faire connaissance.

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Un meurtre fondateur

La date du 14 mars 2005 n’est liée à aucune communauté particulière. La seconde indépendance du Liban, qui fait suite à la plus longue des guerres civiles, n’a pu être accaparée par aucun groupe communautaire. Personne, en effet, n’a pu revendiquer la paternité du mouvement, car celui-ci, de par son ampleur même – plus du tiers des Libanais résidant dans le pays sont descendus dans la rue –, n’est réductible à aucune de ses composantes, politiques, communautaires ou civiles. Il a, dès le début, acquis une forme d’autonomie par rapport à elles, une identité propre.

La force de ce mouvement est due au fait que la majorité de ceux qui y ont participé l’ont fait sur base d’une décision individuelle. Ils ne sont pas venus entériner un choix que d’autres avaient pris, mais ont considéré être partie prenante, chacun à sa manière, dans la bataille en cours (…).

Le 14 mars a vu donc, pour la première fois dans l’histoire du Liban, l’émergence d’une identité nationale libanaise dont le contenu n’est plus déterminé par une communauté particulière, une identité qui transcende les identités communautaires sans se substituer à elles, une identité qui permettrait de fonder le « vivre-ensemble » aux conditions de l’État auquel appartiennent tous les Libanais, et non plus aux conditions de la communauté dominante.

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Pour une culture de lien

Le vivre-ensemble ne s’adresse pas à des communautés, mais à des individus appartenant à des communautés différentes, des individus dotés d’identités multiples, appelés à vivre ensemble. La coexistence entre les communautés s’incarne dans le partage, partage du pouvoir dans le cadre d’un État unitaire, ou partage du territoire dans le cadre d’un État fédéral. Le vivre-ensemble se situe ailleurs. Il ne se fonde pas sur le partage, mais sur le lien, le lien que chaque individu est appelé à établir entre ses multiples appartenances, et le lien qu’il est appelé à créer avec les autres. Ce rapport à l’autre n’est pas seulement une nécessité qu’impose la vie dans une société diversifiée, il est la condition à notre autonomie individuelle. Nous n’existons qu’à travers l’autre. Il nous constitue de la même manière que nous le constituons. Et cet apport extérieur est d’autant plus riche que cet « autre » est diversifié.

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Vers un printemps de la paix

Le printemps arabe et, avant lui, le printemps de Beyrouth ont montré que la violence n’est pas une fatalité à laquelle il n’est pas possible d’échapper.

Pour cela, il nous faut quitter nos « prisons » communautaires sans nous défaire de nos appartenances communautaires, qui contribuent, avec d’autres, à forger notre identité, sans procéder à des amputations et entrer en guerre avec le groupe d’où l’on est issu.

Il nous faut affirmer notre autonomie tout en sachant qu’elle s’inscrit dans une histoire, la nôtre, mais qu’elle n’en est pas le simple produit, car elle est façonnée de toutes les histoires rencontrées sur notre chemin.

Il nous faut aussi et surtout comprendre que, dans la relation à l’autre, il ne s’agit pas d’aller chez cet autre pour devenir comme lui, ni d’amener cet autre chez nous pour le rendre semblable à nous. Au contraire, cette relation commence par la reconnaissance de l’autre dans sa différence et sa spécificité. Ce sont elles qui rendent le lien nécessaire et contribuent à constituer notre identité propre.

Il nous faut enfin comprendre que c’est dans les luttes communes que se tissent les liens et se crée l’envie de vivre ensemble. C’est dans la lutte menée ensemble contre l’occupation syrienne que chrétiens et musulmans ont pu surmonter 30 années de guerre et redonner vie à leur vivre-ensemble. C’est dans la lutte menée ensemble que musulmans et coptes ont pu surmonter leurs divisions et réfléchir ensemble sur la nature de l’État à bâtir. C’est dans la lutte menée ensemble que les Syriens ont redonné vie à une société riche de toute la diversité de l’Orient, consacrant un « vendredi » de manifestation aux Kurdes, un autre aux alaouites, un troisième aux chrétiens, et tous les vendredis de ce long soulèvement à la dignité de l’homme et à sa liberté.   
C’est sur cette base que nous devons bâtir notre vie commune, notre vivre-ensemble, et apporter une réponse à cette question existentielle qui se pose à nous tous, au Liban et dans le monde arabe : comment vivre ensemble, égaux dans nos droits et nos devoirs, différents dans nos multiples appartenances religieuses, ethniques, culturelles, et solidaires dans notre recherche d’un avenir meilleur pour nous tous, chrétiens et musulmans ?


*Journaliste et chercheur, Samir Frangié a collaboré à plusieurs journaux au Liban (L’Orient-Le Jour, As-Safir et An-Nahar) et en France (Le Monde diplomatique, Africasie) et a participé à la création de plusieurs centres de recherches, dont les Fiches du monde arabe et The Lebanese Studies Foundation. Engagé dans l’action politique, il a fait partie, durant la guerre libanaise, du Mouvement national, puis a participé à la création du Congrès permanent du dialogue libanais et de la « Rencontre libanaise pour le dialogue » consacrée au dialogue islamo-chrétien. Membre fondateur du Regroupement de Kornet Chahwane, il a contribué à jeter les bases de l’opposition plurielle au nom de laquelle il annoncera, en 2005, « l’intifada de l’indépendance » qui conduira au retrait des troupes syriennes du Liban. Député de 2005 à 2009, il est membre de la direction du Mouvement du 14 mars. 
source : l'OrientleJour-Littéraire